jeudi 1 juillet 2021

L'auréole du péché


Chapitre 1


Hors du temps


- Suivant !


La voix forte, où perçait un agacement à peine dissimulé, me fit sursauter. Je clignai des yeux à plusieurs reprises pour restituer le décor dans mon champ de vision.


Je pris une grande inspiration et avançai d’un pas décidé. Arrivée devant le guichet, un jeune homme me tendit la main et attendit. Voyant que je ne comprenais pas ce qu’il voulait, il soupira d’une manière exagérée, comme s’il portait tout le poids de l’univers sur ses épaules.  


- Votre billet, mademoiselle… Il me le faut si vous voulez passer, dit-il, condescendant.


- Je suis désolée… dis-je en le sortant de ma poche. Je suis tellement nerveuse.


Il me fixa d’un air indifférent avant d’ajouter :


- Vous verrez, ce n’est pas compliqué. Vous n’avez qu’à suivre les indications ainsi que les flèches et vous arriverez sans encombre…


Il estampilla mon billet d’un slogan écrit en rouge et dont la signification me fit frémir :


"Non-retour".


Ensuite, il me tendit un contrat et une plume aux couleurs de l’arc-en-ciel.


- Signez en bas de la page.


- Mais qu’est-ce qui est écrit ? demandai-je timidement. 


Il roula des yeux, exaspéré, et aboya :  


-Mais enfin, ne vous a-t-on rien appris ? 


Je rougis, embarrassée de me montrer aussi naïve. Il reprit le document et lut d’un ton irrité : 


- Il est stipulé que, dès que vous apposerez votre signature, nous ne serons plus responsables de ce qui arrivera derrière les barrières. Comme vous le savez, ce voyage est sans retour et vous devez accepter les conditions de votre nouvelle vie telle qu’entendue et discutée avec le maître qui vous était assigné…


D’un geste brusque, il me remit les papiers et regarda sa montre. 


-Vous savez que vous n’êtes pas la seule dans la file d’attente, n’est-ce pas ?


Je pris la plume et déglutit. Nous en avions discuté des jours et des nuits, mon maître et moi. Pourquoi étais-je si nerveuse ? J’inspirai profondément, pour me calmer, et d’une main assurée, je traçai les lettre de mon nom. 


Dès que j’eus terminé, le contrat se souleva de lui-même, se plia et se scella à l’aide d’un sceau en or. Puis, il retomba devant moi. Le jeune homme le récupéra et le rangea dans l’un des nombreux casiers derrière lui. Il m’adressa un rictus grinçant et m’indiqua la sortie. Je n’avais pas fait trois pas que sa voix retentit derrière moi :


- Suivant !


J’esquissai un sourire en songeant à la personne qui était derrière moi et qui venait de se faire interpeller par les mêmes paroles désabusées. Poursuivant mon chemin, je croisai d’autres gens, qui, comme moi, avaient décidé d'entreprendre ce voyage sans retour. Après quelques minutes, j’arrivai à destination. Une énorme pancarte était plantée à l’entrée du tunnel. Il y était inscrit en gros caractères or et noir : Bon voyage. Je la contemplai quelques secondes, hypnotisée. Tellement de choses s’étaient déroulées depuis les deux derniers mois…


Au début, je me moquais de ceux qui décidaient de partir. Comment osaient-ils quitter cet endroit paradisiaque où nous vivions ? Pourquoi en avaient-ils seulement envie ? Puis, j’avais compris…


C’était une nuit où la lune était pleine et d’un blanc lumineux. Les étoiles brillaient intensément dans le firmament. La douceur de l’air ambiant caressait ma peau nue. J’étais étendue sur l’herbe, à regarder l’immensité qui s’ouvrait devant moi et cela m’avait frappé de plein fouet. Je voulais connaître ce monde nouveau moi aussi. Je voulais vivre ce que nous avions appris dans les livres : l’amour, l’amitié, la nature, les animaux et tout ce qui était illustré et si bien décrit dans ces bouquins. Je voulais la liberté, les larmes et les rires. Je voulais respirer leur air et entendre leurs sons… comme eux. Je voulais être eux. Dès cet instant, je décidai de passer le Certificat des Lumières de la Liberté. Il me fallait réussir cette épreuve si je voulais obtenir mon laissez-passer pour ce merveilleux voyage. J’avais réussi mon examen avec brio et arriva le grand jour du départ...


… J’inspirai profondément, fermai les yeux et joignis mes deux mains à hauteur de ma poitrine. La magie coulait encore dans mes veines.


- Merci… chuchotai-je.


Je remerciais cette magie de m’avoir guidée tout au long de ma vie, et d’avoir accepté de se dissoudre pour laisser place à ce nouveau départ. Je remerciais également tous ceux qui avaient fait partie de ma vie et que j’allais désormais quitter. Je remerciais aussi la lumière qui m’avait vue naître.


Quand je me sentis enfin prête, j’ouvris les yeux et avançai vers l’entrée du tunnel. Au moment où j’y pénétrai, une terrible explosion secoua la terre. Des cris retentirent et je fus projetée dans une galerie adjacente, bousculant une jeune fille qui y attendait. Une violente douleur me tordit les membres et une chaleur insupportable m’embrasa.


J’ouvris la bouche pour hurler, mais aucun son n’en sortit. Ma descente fut infernale et je fus projetée dans tous les sens. Un soudain vent glacial me cingla le visage, égratignant mes joues. Des larmes s’amassèrent aux coins de mes paupières. Rien ne se déroulait comme prévu.


Affolée, j’essayai de me redresser pour ralentir ma chute, mais à cet instant, une trouée s’ouvrit sous moi et je tombai dans le vide. Je tentai de freiner ma dégringolade en battant des bras et des jambes dans une vaine tentative. Horrifiée, et à court d’idée, je fermai les yeux et priai.


Mon corps brisé n’atteignit jamais le sol.

***


De nos jours


C’était à nouveau ce rêve. Je le ressentais au plus profond de moi, dans chaque fibre de mon corps et pourtant, je ne pouvais m’éveiller. Je devais le subir, encore. J’étais assise sur le sol et la lumière jouait avec la couleur de ma jupe pourpre, donnant un effet inquiétant sur les murs. Mon regard se posa sur mon babillard où il y avait des cartes d’anniversaire pour mes quatorze ans. En arrière-plan, mon Ipod crachait la musique de System of a Down, Chop Suey.


I don't think you trust

In my self-righteous suicide

I cry when angels deserve to die


Par la fenêtre entrouverte, l’odeur caractéristique des lilas pénétrait, embaumant l’air. Je sentais aussi la douceur du soleil sur mes épaules et mon dos. Pourtant, j’étais insensible à la promesse d’un été prochain. De grosses larmes glissaient sur mes joues et je me sentais oppressée à l’intérieur, comme si une main dessinait des paysages sombres et funestes à l'encre indélébile. J’avais froid et je frissonnai sous la caresse invisible de la solitude. Je ne me souvenais plus pourquoi je ressentais tant de souffrance. Tout ce que je savais, c’était que j’étais fatiguée de me battre, que je n’avais plus la force de retenir chaque bout de ma vie et de maintenir cette comédie en place. La musique était envoûtante et le son semblait s’amplifier, répétant encore et encore, le même refrain :


I don't think you trust

In my self-righteous suicide

I cry when angels deserve to die


Je serrai les poings, enfonçant mes ongles dans ma paume. La douleur physique était trop minime pour outrepasser mon mal-être. Celui-ci, comme la musique, prenait de plus en plus de place, me poussant loin de la lumière.


-Suis-moi.


La voix me fit sursauter. Les battements de mon cœur s’accélérèrent et je déglutis péniblement. J’avais dû confondre avec les paroles du chanteur, il n’y avait personne ici.


-Suis-moi, prends la main que je te tends et tu pourras apaiser ta souffrance.


Je me levai d’un bond, affolée. C’était impossible, ma chambre était vide et pourtant, j’entendais comme un ricanement. Bouleversée, je me précipitai vers ma commode blanche et ouvrit le premier tiroir à droite. J’attrapai le flacon de pilules et laissai échapper un hoquet d’horreur. Il devrait être à moitié vide, je prenais une dose tous les matins et pourtant, il était plein, même que plusieurs autres flacons gisaient à côté, tous débordants de ces pilules que j’aurais dû prendre quotidiennement. Tremblante, je laissai tomber le récipient qui rebondit sur le tapis de ma chambre.


-Tu en avais assez d’être leur pantin, voilà pourquoi tu as cessé de les prendre. À présent, tu dois venir me rejoindre. C’est comme ça que ça fonctionne. Tu ne mérites pas de vivre.


De gros sanglots secouèrent mon corps. Des larmes brûlantes zigzaguèrent le long de mes joues. Je devais sortir de cette chambre au plus vite. Je fis un geste pour me diriger vers la porte, mais mon corps ne me répondit pas.


-Il suffit, maintenant. Si tu ne veux pas, de toi-même, abréger tes tourments, je t’y obligerai.


Lentement, mes jambes prirent la direction de mon lit, près de la fenêtre. Je soulevai le matelas et effarée, j’en ressortis un pistolet. Ensuite,  je m’assis sur le lit et toujours indépendamment de ma volonté, je pointai l’arme vers ma tempe. Je tremblais comme une feuille d’automne sous le vent impitoyable. J’ouvris la bouche pour hurler, mais aucun son ne sortit. La musique devint assourdissante et ne répétait en boucle que les mêmes paroles :


I don't think you trust

In my self-righteous suicide


Un rire inhumain s’éleva dans ma chambre et tout près, je devinai une présence qui posa sa main sur la mienne.


-Ta vie pour ma vie, chuchote la voix à mon oreille.


Je sentis mon index se crisper sur la détente, puis un poaw assourdissant se répercuta sur les murs de ma chambre.


Je me réveillai en sursaut, le coeur battant la chamade et des mèches de ma chevelure désordonnée, collées sur mes tempes. Instinctivement, je reculai jusqu’à sentir la tête de lit derrière mon dos et je scrutai ma chambre, à la recherche d’un fantôme. N’apercevant rien d’effrayant, ma respiration saccadée, se calma. Je pris le téléphone sur ma table de nuit et commençai à taper un message à Alexis. J’allais l’envoyer, quand je réalisai ce que je faisais. Il était plus de deux heures du matin. Si je le réveillais au beau milieu de la nuit pour lui raconter que j’avais fait un mauvais rêve, il allait être fâché, mais surtout inquiet. 


Je soupirai douloureusement. J’aurais voulu qu’il soit là pour me prendre dans ses bras et me consoler. Me dire que tout allait bien aller, même si je commençais à avoir peur. Peur que ça revienne; les visions, les sentiments de désespoir et de perdre pied de la réalité. Je frissonnai d’angoisse à ces pensées. Je repris mon téléphone et relus mon message. J’avais tellement envie de lui envoyer. J’avais tant besoin de réconfort, mais il n’y avait personne, ce n’était pas comme ça, entre lui et moi. Je me mordis la lèvre inférieure et du pouce, effaçai tout ce que je venais de taper. À la place, je me levai pour aller à ma coiffeuse. Je pris, dans le tiroir du bas, mon journal intime et j’écrivis le rêve que j’avais fait. Puis, comme souvent ces derniers temps, je composai un poème pour exprimer mon amour pour Alexis. Je ne pouvais pas lui dire directement, mais je pouvais à tous les moins, coucher sur papier les mots qui me brûlaient et qui me déchiraient. Une fois terminé, je rangeai à nouveau le cahier dans le tiroir et retournai au lit. Mes yeux me piquaient tant j’avais sommeil, mais j’avais peur de me rendormir. Je me roulai en petite boule et fermai les yeux, espérant ne plus subir ce cauchemar du reste de la nuit. 


***


L’aube allait se lever. La noirceur de la nuit cédait doucement le pas à une lumière ambrée. Une légère brise agitait les feuilles colorées de l’immense parc arrière. Malgré octobre, on sentait encore les relents de l’été qui ne voulait pas capituler. Son odeur sucrée et vanillée se mélangeait à la pourriture de la nature qui se décomposait peu à peu. J’aimais ce temps de l’année où les journées raccourcissaient et où graduellement, toute la beauté virginale se brisait au pied de l’inéluctable fin. La mort dans toute sa splendeur colorée. J’esquissai un sourire et sans bruit, je me penchai vers le bas de la coiffeuse et pris le journal intime qui y était caché. Je l’ouvris et lus quelques lignes de son écriture soignée, parfaite. Je reniflai de mépris en découvrant ses poèmes à l’eau de rose. Elle n’avait décidément aucun talent pour cela. Je fourrai le journal dans mon sac à main et je me dirigeai vers la porte. 


-Dors bien, Cassie, ne fais pas de mauvais rêves ! 


Et je refermai derrière moi, un sourire insidieux flottant sur mes lèvres.

Chapitre 2


-Cassie, qu’est-ce que tu fais, tu vas être en retard !


Le tambourinement sur la porte s’intensifia et je crus qu’elle allait la défoncer. 


-Cassie ! cria-t-elle à nouveau. 


Je roulai des yeux et m’assis dans mon lit tout en baillant. Qu’avait-elle à me hurler dessus comme ça ? Mon réveil n’avait pas encore sonné pourtant. Il n’avait pas sonné, si ? Prise d’un doute affreux, j’attrapai mon téléphone et l’heure s’afficha sur l’écran. Il était passé sept heures trente. Zut ! Je me levai d’un bond et ouvris la porte à mon amie qui s’échinait dessus. 


-Mais enfin Cassie, qu’est-ce que tu fous encore en pyjama ? demanda-t-elle, surprise. Les cours commencent dans trente minutes. Tu sais bien qu’à cette heure-ci, il est impossible d’avoir une douche, toutes les filles les ont déjà occupées. 


Mégane pénétra dans ma chambre sans ma permission et se dirigea directement vers mon placard. 


-Heureusement qu’il faut porter l’uniforme, sinon tu serais dans une situation critique. 


Elle piocha dans la garde-robe et lança sans viser, une jupe plissée bleue, une chemise blanche et la veste assortie à la jupe. Je les rattrapai au vol et commençai à me déshabiller pour enfiler mon uniforme. Pendant ce temps, Mégane se dirigea vers ma coiffeuse et s’empara d’une bouteille de shampoing sec.


-C’était quand la dernière fois que tu t’es lavé les cheveux ?


-Tu en as de ces questions existentielles, ce matin !


Elle haussa les épaules et me lança tout de même la bouteille en plein visage. Je dus me baisser pour l’éviter et elle tomba dans un bruit sourd dans mon dos.  


-Mégane ! m’emportai-je.


-Tu es en retard, j’essaie de t’aider, ne me remercie pas, surtout, répliqua-t-elle sèchement. 


J’inspirai profondément pour me calmer. Elle avait raison, je ne pouvais pas me présenter en classe comme si j’avais dormi sur la corde à linge. Alexis suivait la plupart des mêmes cours que moi. Puis, je n’avais vraiment pas besoin de ça pour me faire remarquer en plus. Ma devise était simple : me fondre dans la masse, me faire oublier. Je détestais qu’on s’aperçoive de ma présence. Je n’aimais pas les foules et j’aimais encore moins être repérée dans celles-ci. J’étais à ma dernière année de secondaire et j’avais l’intention de la terminer sans faire de vagues. Je me penchai pour ramasser le shampoing sec et je m’en vaporisai un peu dans les cheveux. Je massai mon cuir chevelu puis, je brossai ma tignasse pour répartir le produit un peu partout. Je me tournai vers le miroir pour ajuster ma coiffure et fus agréablement surprise du résultat. J’oubliais toujours à quel point ça me sauvait la vie. Je mis un peu de gloss brillant et je fus enfin prête pour ma journée. 


-Dépêche-toi, Cassie, il ne reste plus que dix minutes et ont doit se rendre à l’aile nord du bâtiment. 


J’attrapai mon sac avec mes livres pour la journée. Par chance, j’avais pris la peine de le préparer la veille. Je verrouillai la porte de ma chambre derrière moi. Dans le couloir du dortoir, l’agitation était bruyante et compacte. Plusieurs filles, elles aussi en retard, se précipitaient à leurs cours. Personne ne voulait arriver à sa classe et que la porte soit fermée. C’était une retenue automatique et un blâme sur notre bulletin de notes. Je suivis Mégane qui sprintait devant moi, ouvrant le passage, tel Moïse devant la mer rouge. Nous arrivâmes au moment où la cloche sonnait. Je pris place à mon bureau, le souffle court, mais au moins, je n’aurais pas de punition. Le cours d’histoire débuta et j’ouvris mon livre pour suivre. Alexis n’était pas dans cette classe, mais nous avions astronomie, ensuite ensemble. Mon coeur s’emballa à cette pensée. J’essayai de me concentrer sur les paroles du professeur, mais c’était difficile. J’étais dissipée et encore fatiguée de ma mauvaise nuit. J’allais avoir quinze minutes de pause entre ce cours-ci et le suivant. Le temps suffisant pour aller me chercher un café. Je me forçai à écouter et prendre des notes jusqu’à la fin de la classe. Quand la cloche sonna, le soulagement m’envahit. 


-Je dois me rendre au bureau de secrétariat, tu viens avec moi ? questionna Mégane. 


Je secouai la tête. 


-J’ai mal dormi cette nuit, je vais aller me chercher un café, on se rejoint pour dîner, d’accord ?


Elle acquiesça et je me dirigeai vers l’extérieur où un petit café mobile ouvrait pendant les pauses. L’ambiance chaleureuse et décontractée dans les couloirs allait me manquer. J’étais pensionnaire la semaine et retournais chez mes parents les fins de semaines. L’école était construite comme un campus d’université américaine. L’établissement était mixte, mais pas les dortoirs, qu’il fallait quitter au plus tard à vingt-trois heures. Cela n’avait jamais empêché quelques incartades, mais il fallait être très prudent, car se faire pincer dans la chambre d’une personne de l’autre sexe pouvait conduire au renvoi. On ne plaisantait pas avec la sexualité ici. Ce qui était ridicule et complètement arriéré, puisque que deux filles ou deux garçons pouvaient très bien s’aimer et qu’il n’y avait pas que les chambres pour se retrouver…. Enfin, outre ce règlement archaïque, j’adorais cette école.


Une fois mon latté commandé, je me dirigeai vers ma classe d’astronomie. J’avais tout juste le temps de m’y rendre. La journée était anormalement chaude pour un mois d’octobre. Une brise tiède soufflait depuis le sud et caressait mon visage. Je m’arrêtai quelques secondes pour respirer l’air doux. J’avais tellement l’impression d’être vivante quand les rayons du soleil réchauffait ma peau. L’odeur des feuilles humides me parvint. J’adorais l’automne. C’était une saison riche en beauté et en émotion. Je me forçai à reprendre le chemin de ma classe quand au loin, j’aperçus Alexis. Un vif émoi s’empara de moi. J'accélérai le pas pour m’approcher quand je distinguai une grande jeune fille à ses côtés. Elle riait. Un rire cristallin, pur. Un frisson d’horreur me parcourut. Qui était-elle ? Que lui voulait-elle ? Je m’avançai davantage pour essayer d’entendre ce qu’il lui racontait et je la vis déposer sa main délicate sur son épaule et se pencher vers sa joue. Elle y déposa un léger baiser. À peine un effleurement. J’écarquillai les yeux, stupéfaite. Alexis pénétra dans la classe et je voulus le suivre, mais une douleur aigüe au thorax me paralysa sur place. Je m’adossai au mur, le souffle court. 


-Mademoiselle Durochelle, est-ce que vous allez bien ?


Je levai les yeux vers le professeur d’astronomie, mais un voile noir couvrit mon regard. Je me sentis tomber, mais deux bras puissants me rattrapèrent. Mon café chuta à mes pieds, éclaboussant mes jambes. Je perçus des voix, mais ne pus distinguer ce qu'elles disaient. Ma respiration devint sifflante. J’entendis un cri et la douleur éclata dans ma tête, brouillant tout le reste. 


***


Je m’avançai vers la classe de français et je lui fis un signe discret. À ma vue, ses yeux s’agrandir de surprise et d’appréhension. Elle fit non de la tête, mais j’insistai, alors, à contre-coeur, elle se leva et demanda la permission de sortir. Elle referma la porte de la classe et me toisa de haut en bas. 


-Tu es revenue. 


Je haussai un sourcil, amusée. 


-Je ne suis jamais partie, tu sais. 


-Que me veux-tu, je n’ai pas le temps !


J’inclinai la tête de côté et l’observai quelques secondes. Elle était mal à l’aise, même si elle essayait de le cacher. C'était tellement réjouissant que je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. 


-Tu es tellement touchante, tu le sais ça ? Je sens que tu veux la protéger, c’est très fort en toi, mais tu n’y peux rien, tu le sais n’est-ce pas ? 


-Je n’ai rien à te dire et je n’ai pas à t’écouter. Je dois retourner en cours. 


Elle se retourna, mais je lui pris le bras. Elle frissonna à mon contact. 


-Tu crois réellement que tu peux disposer comme bon te semble ? Je suis déçue et fâchée. J’ai besoin de toi et ce n’est pas discutable. 


Elle se raidit et combattit encore quelques secondes mon autorité. J’esquissai un sourire en coin et doucement, je déposai dans son autre main, un sachet. Le temps se suspendit, puis, ses épaules se courbèrent sous le poids de l’abdication. J’avais gagné. Comme toujours. C’était si facile de la manipuler. J’espérais un jour avoir la possibilité de me débarrasser d’elle, mais pour l’instant, elle m’était trop utile. 


-Que me veux-tu ? chuchota-t-elle. 


Je la contournai pour lui faire face. Elle me regarda, ses grands yeux gris voilés de tristesse, mais aussi de convoitise à l’idée de ce que je lui avais donné. Je farfouillai dans mon sac à main et en sortir le journal que je lui présentai. Quand elle le reconnut, elle traissaillit. 


-Que fais-tu avec ça ?


-Tu savais que pratiquement toutes les pages sont noircies de son amour pour Alexis ? C’en est presque pathétique, j’ai pitié pour elle, tu sais. 


Elle ricana. 


-Impossible, tu n’as de pitié pour personne que pour toi-même ! cracha-t-elle. 


Je haussai les épaules. 


-Quelqu’un doit bien en avoir pour moi, je n’ai pas demandé ce qui m’arrive, c’est injuste et tu le sais, c’est pour ça que tu m’aides…


Elle renifla de dépit. 


-Tu crois ? 


-Tu es dans le même bateau que moi, ma chérie. Tu as été abandonnée toi aussi, tu crois que c’est juste ?


-Ce que tu fais ne l’est pas, pourquoi t’acharnes-tu ?


-Ça n’a pas d’importance, dis-je finalement. J’ai besoin de toi.


-Allez, dit-elle d’un ton impatient, je dois retourner en cours, tu ne voudrais pas qu’on soit surprises, non ?


Je pinçai les lèvres, mais je pris sur moi pour ne pas envenimer davantage la situation. Elle le faisait exprès, pour me provoquer, je le voyais bien. Ça lui donnait l’illusion de ne pas être totalement utilisée, comme une poupée. 


-Je veux que tu fasses des photocopies de son journal et que tu colles les feuilles un peu partout. Alexis doit être au courant de son amour, c’est trop dommage qu’elle le vive dans l’ombre…


-Je…


-Ça ne souffre pas un refus, ni ton opinion. Tu exécutes, c’est tout. Sinon, je révèlerai ton petit secret et crois-moi, tu as plus à perdre que moi…


Des larmes châtoyèrent dans ses prunelles orageuses. Elle serra le sac sur sa poitrine et du bout des lèvres demanda : 


-Ça sera tout ?


-Pour cette fois, oui. Je te recontacterai plus tard. 


Elle inspira profondément et retourna en classe sans me dire au revoir. Tant qu’à moi, je me dirigeai vers le cours d’astronomie. Je voulais l’apercevoir une fois avant de partir. J’avais besoin de le voir, c’était un sentiment viscéral. J’avais tout risqué pour lui et si ma vie était à présent un enfer, au moins, il y avait encore lui, Alexis, pour me donner l'espoir que j’allais pouvoir réussir à m’en sortir. 


***

Je me réveillai, désorientée, avec un mal de tête qui ne cessait de pulser entre mes tempes. Je me relevai, mais je fus saisi d’un vertige et dus me rattraper au mur blanc et aseptisé pour ne pas tomber. Quelle heure était-il donc ? Après avoir pris de grandes respirations, je pus me diriger vers l’avant de l'infirmerie et constatai, sur l’horloge en forme de brancart, qu’il n’était que dix heures. Je n'avais été inconsciente que peu de temps. 


-Mademoiselle Durochelle, vous voilà de retour parmis nous ! 


L’infirmière m’examina et conclut que j’étais déshydratée et épuisée, ce qui n’était pas faux. Je lui promis de faire plus attention à moi et elle me signa un billet d'absence pour le reste de la journée, ce que j’appréciai puisque je pourrais retourner à ma chambre et me reposer un peu. Ma nuit avait été trop courte et je subissais encore le contrecoup de mon cauchemar. De plus, je ne voulais pas croiser Alexis et cette fille, qui qu’elle soit. Était-il possible qu’il se soit fait une petite amie ? Je rassemblai mes bouquins dans mon sac et pris le chemin du dortoir. À l’extérieur, je croisai deux hommes étranges qui me dévisagèrent. 


-Bonjour, m’apostropha celui avec la longue chevelure blonde. 


Ses traits androgynes, la posture de son corps longiligne et mince ainsi que son ami qui lui ressemblait étrangement,  me mirent mal à l’aise. Sans répondre, je serrai mon sac sur ma poitrine et me hâtai de tourner le coin pour échapper à leur regard curieux. Pour une raison inconnue, mon coeur battait fort contre ma poitrine. Ces deux hommes dégageaient une aura étrange et malsaine. Comment avaient-ils pu pénétrer dans l’école ? Était-ils professeurs ? J’arrivai enfin à mon dortoir, quand j’aperçus quelque chose devant ma porte. Je me figeai sur place, stupéfaite. Quelqu’un avait pénétré dans ma chambre.

Chapitre 3 


Je regardai le flacon vide sur mon bureau et pour la centième fois, je me demandai qui avait bien pu le poser devant ma chambre. Pourtant, hormis Alexis, personne n’était au courant de mon problème de santé et je désirais que ça reste ainsi, surtout ici. Je ne souhaitais pas passer pour la folle de service, celle qui entend des voix... Mais surtout, je ne voulais pas qu’on découvre la vérité à mon propos. Tout le monde avait un passé, le mien, j’aspirais à l’enterrer et l’oublier pour de bon. Je n’étais plus cette jeune adolescente, j’allais graduer dans quelques semaines et enfin, faire des études qui me plaisent. Je me mordis la lèvre inférieure. Ce flacon aurait dû être plein, enfin, dans mes souvenirs, je n’avais pas à renouveler l’ordonnance avant trois semaines. Comment était-ce possible ? Je le pris entre mes doigts et le fit rouler. En l’observant de plus près, je remarquai quelque chose d’étrange. La date n’était pas la bonne. C’était donc une vieille bouteille. Quelqu’un essayait de me faire passer un message. Un frisson glacial me parcourut l’échine. Tout près, j’entendis quelqu’un éclater de rire. Je sursautai et tournai la tête dans tous les sens, pour voir s’il y avait une présence dans ma chambre, mais bien sûr, j’étais seule. Mon rideau se souleva alors que ma fenêtre était fermée. Je déglutis et reculai vers le lit. Ça recommençait. Des larmes glissèrent sur mes joues. Je me laissai tomber sur le sol et attrapai mon téléphone. Tout en tremblant, je tapai un message que j’envoyai sans hésiter. Maintenant, il ne restait plus qu’à attendre. 


***

-Elle n’est pas ici, tu vois bien.

 

-L’énergie qu’elle dégage la positionne dans les environs, je ne comprends pas qu’on ne la trouve pas. 


L’homme haussa les épaules, ennuyé. Cette mission le contrariait au plus haut point. Il s’adossa à une colonne, les bras croisés et regarda les élèves passer. Il aimait bien observer les humaines, surtout celles du genre féminin. Elles étaient fascinantes à cet âge avec leur attributs formés, pour la plupart, mais avec encore, un regard enfantin. Elles se prenaient pour des femmes, mais elles n’avaient aucune idée de ce que cela signifiait. Il se pourlécha les babines quand l’une d’elle, une grande fille à la peau mielleuse et au regard timide, passa devant lui. Son odeur fleuri le tira de son agacement. Il fit un mouvement dans la direction de l’adolescente quand son ami l’attrapa par le bras. 


-Pas si vite, on n'est pas là pour ça, tu veux te faire remarquer ?


-On ne passe déjà pas inaperçus, tu ne l’as pas constaté ? Je pense que c’est la chevelure ou peut-être notre apparence, mais quoiqu’il en soit, ils le sentent que nous ne sommes pas…


-Peu importe, le coupa-t-il, ça ne te donne pas le droit de commencer à chasser. Tu vas nous attirer des problèmes. On doit retrouver la fille, utilise ton flair pour ça au lieu de renifler des jeunes filles, c’est… inapproprié.


Il  roula des yeux, agacé. Ce qu’il pouvait être rabat joie comme compagnon, mais il avait raison. Il avait suffisamment d’ennuis comme ça pour ne pas en rajouter. Trouver la fille, capturer la fille. Facile. 


-Redonne-moi la bouteille, que je sente à nouveau son odeur, ça va m’aider à la pister. 


Il lui tendit la fiole et il la déboucha. Un effluve de lavande, mélangé à de la vanille et à quelque chose de plus profond, un peu comme de la métivier, lui parvinrent aux narines. Cette odeur l’excitait terriblement. Elle cachait une force et une volonté spectaculaire. C’est ce qu’il  préférait, celles qui ne se laissaient pas faire, celles pour qui il devait travailler durement pour les posséder. Puis, rien ne l’empêcherait de s’amuser, une fois qu’il l’aurait capturée. Il sourit à cette perspective et se mit en route à la recherche de celle qui le grisait. 


***


Les coups à la porte me réveillèrent en sursaut. Pendant quelques secondes, je fus désorientée, ne sachant plus où j’étais ni quel jour ou quelle heure il était. Confuse, je titubai pour aller ouvrir. Au moment où j’entrouvris la porte, Alexis déboula dans ma chambre, le souffle court, le corps en sueur et les cheveux pêle-mêle. 


-J’étais en train de m’entraîner quand j’ai eu ton texto, j’ai fait aussi vite que j’ai pu. Qu’est-ce qui s’est passé ?


Tout me revint en mémoire à ses mots. Me sentant légèrement ridicule, je détournai la tête, les joues en feu. 


-Je suis désolée de t’avoir dérangé, Alexis. J’ai eu une mauvaise journée aujourd’hui et je ne sais pas, tantôt… 


Je laissai ma phrase en suspend, incapable de poursuivre tant son regard soucieux m’embarassait. Il était évident que la fatigue et le choc du début de ma journé, couplé à ma mauvaise nuit, m’avait fait halluciner. Puis des rires, on en entendait tous les jours dans les couloirs. J’étais ridicule de m’énerver pour si peu. 


-Cassie, ne soit pas gênée, vas-y, raconte-moi ce qui t’est arrivé. 


Sa voix douce fit déferler en moi une cascade de sentiments contradictoires. Je ressentis une envie puissante de le prendre dans mes bras et de l’embrasser. Ce fut si soudain et si intense, que je dus reculer par peur de commettre un impair malgré moi. Je me mordis la lèvre inférieure et me dirigeai vers ma penderie pour cacher mon émoi. Je pris une veste noire avec des fleurs orangées et l’enfilai. 


-Tu as envie de sortir prendre l’air un peu ?


Bon joueur, il fit une petite courbette grotesque. 


-Après vous, mademoiselle ! récita-t-il d’une voix nasillarde. 


J’éclatai de rire et nous prîmes la directions du Starbucks tout près de l’école. Une fois nos commandes en main, nous allâmes dans le parc du campus nous asseoir sur un banc. 


-Tu vas me parler, Cassie ? demanda doucement Alexis. 


Je baissai la tête et soupirai. D’un geste familier, il déplaça mes mèches derrière mon oreille pour pouvoir me voir. Un délicieux frisson me parcourut les bras. Je bus une gorgée de mon latté pour me donner contenance et me jetai à l’eau. De toute façon, il n’allait pas lâcher l’affaire, il était toujours si prévenant envers moi. 


-J’ai recommencé à faire ce rêve… enfin, tu sais, et plus tôt aujourd’hui, j’ai cru sentir une présence dans ma chambre. J’ai même entendu quelqu’un rire, mais c’est idiot, dis-je très vite, ça devait provenir du couloir… Mais je ne sais pas, il y avait aussi ce flacon de mes pilules devant ma porte. Comme si quelqu’un me faisait une farce… Mais personne ne sait…


-Tu les prends toujours ?


-Bien sûr, m’insurgeai-je. Qu’est-ce que tu crois ?


-Hey oh ! du calme, je  voulais seulement m’en assurer, je ne doute pas de toi. 


-Oui, pardon, je suis un peu à cran. 


Il passa son bras autour des mes épaules et me serra contre lui. Son odeur parfumée me chavira et je dus prendre sur moi-même pour ne pas succomber. J’avais tellement envie de l’embrasser, que ça me faisait physiquement mal. Des larmes serpentèrent sur mes joues, sans que je ne puisse les arrêter. Je reniflai et me dégageai, honteuse qu’il me voit dans cet état. Pourquoi je n’arrivais pas à me dominer ce soir ? Je me sentais si lasse tout à coup. Je n’avais plus qu’une envie, c’était de retrouver ma chambre et ma solitude pour aller me coucher. Je voulais oublier cette journée horrible. 


-Je suis certain que ce n’est que la fatigue qui te joue des tours, Cassie. Tu as dû confondre tes ordonnances sans t’en rendre compte. 


-Oui, tu as sans doute raison, j’ai juste l’impression de ne pas être moi-même, aujourd’hui. 


-Je suis désolé que tu te sentes ainsi, Cassie. Est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider ?


M’embrasser ? Pensai-je piteusement. 


Je secouai la tête et me forçai à afficher un sourire. 


-Ça va aller, cette journée est une catastrophe, mais demain ça ira mieux, j’en suis certaine. Ne t’inquiète pas pour moi.

 

-Tu es comme ma soeur, Cassie, bien sûr que je m’inquiète pour toi !


Il me prit dans ses bras et me fit une accolade. Je déglutis et dus déployer un essaim d’efforts pour ne pas craquer à nouveau. Bien sûr, qu’il me voyait comme sa soeur et non comme petite amie potentielle, nous avions pratiquement grandi ensemble… 


-Merci, Alexis, d’être toujours là pour moi, je l’apprécie beaucoup, dis-je doucement. 


Il me sourit et je pris une photo dans ma tête de lui à ce moment. Tellement parfait. 


-Raccompagnons la demoiselle jusqu’à son château ! s’exclama-t-il de sa voix à nouveau aiguë.


Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire en lui emboîtant le pas. Une fois Alexis parti, je pris mes effets personnels et me dirigeai vers les douches. Comme ça, demain, je serais déjà prête. Une fois lavée, je me dirigeai vers les lavabos pour me brosser les dents. Je relevais la tête quand je vis un message inscrit dans la buée du miroir. 


«Je suis de retour»


Je reculai vivement, la main sur la bouche. Prise de frénésie, je courus vers les douches et ouvrit toutes les portes une à une pour vérifier si elles étaient vides. Il n’y avait personne. Je revins vers les lavabos. Il n’y avait plus de message. Aucun miroirs n’étaient embués. Je me mis à trembler comme une feuille. Je me précipitai vers le comptoir pour ramasser mes effets quand quelqu’un pénétra dans la salle de bain, me faisant sursauter. 


-Cassie, est-ce que ça va ? On dirait que tu viens de voir un fantôme. 


Je lâchai un soupire de soulagement à la vue de Mégane. Je posai mes deux mains sur le comptoir et inspirai profondément. 


-Qu’est-ce que se passe ? Il t’est arrivé quelque chose ? demanda-t-elle d’une voix inquiète. 


Je serrai les dents pour ne pas pleurer. Mégane ignorait tout de mon passé et je n’avais pas envie de passer pour une folle. Je ne voulais plus être cette personne. Pourquoi je n’arrivais pas à vivre normalement, pourquoi tout ça m’arrivait maintenant, alors que ça faisait plus de deux ans que j’allais mieux ? Je me relevai et me passai la main sur le visage pour faire disparaître l’affolement que j’avais ressenti. Tout ça, ce n’était que dans ma tête, ce n’était pas vrai. 


-Non, non, répondis-je d’une voix enjouée, je vais bien. J’ai été surprise, c’est tout. 


Elle m’observa quelques secondes, incertaine, puis, sourit à son tour. Elle déposa sa trousse près du lavabo et commença à peigner sa longue chevelure flamboyante. Je la contemplai, hypnotisée par son geste. Je n’avais jamais remarqué à quel point elle était jolie. Il y avait quelque chose dans son regard de magnétique et de vibrant. J’avais l’impression d’y voir les galaxies. C’était perturbant et en même temps sensuel. J’avais l’impression qu’elle n’était pas consciente de l’aura qu’elle dégageait. Elle leva le bras et la manche de sa robe de chambre glissa révélant une cicatrice boursouflée qui me sembla récente. Elle surprit mon regard et s’empressa de couvrir la blessure. 


-Qu’est-ce qui t’es arrivé ? ne pus-je m’empêcher de lui demander. 


D’un geste lent, elle déposa sa brosse et garda le silence quelques secondes, puis, elle murmura d’une voix à peine audible : 


-Un accident. 


-Je suis désolée, dis-je avec douceur.  


-Ne t’inquiète pas, ça fait longtemps. Je n’y pense plus. 


Je compris que le sujet était clos et qu’elle ne m’en dirait pas davantage. 


-D’accord. Désolée d’avoir été indiscrète. 


-Non, ne t’en fais pas. Tu es mon amie, c’est normal que tu t’intéresses à ce que je vis et c’est pareil pour moi, tu peux me faire confiance, tu le sais n’est-ce pas ?


-Bien sûr !


Son ton était étrange, presque insistant, comme si elle attendait que je lui révèle quelque chose qu’elle savait déjà, mais qu’elle ne voulait pas que je le sache. Épuisée par toutes les émotions de la journée, je n’avais plus qu’une envie, c’était d'aller dormir. 


-Tu es une super amie, Mégane. Merci d’être là pour moi. Bonne nuit !


Je lui fis un câlin et elle me sourit. 


-Bonne nuit, à demain ! sois à l’heure, cette fois-ci !


-Ne t’inquiète pas, je serai fraîche et dispose !


Elle leva le pouce et je la quittai pour regagner ma chambre où je me déshabillai et sans prendre la peine de chercher ma robe de nuit, je m’écroulai dans mon lit et m’endormis aussitôt les yeux fermés, espérant secrètement rêver à Alexis, cette fois, plutôt qu’à ce jour de mai il y a deux ans.


***


Ils ont lâché les chiens à ma poursuite. Il doit vraiment avoir peur s’il a pris cette décision controversée. Pourtant, je n’ai rien fait de mal, ce n’est pas ma faute ce qui arrive, je n’ai rien demandé. Ils ne pourront pas me retrouver, même s’ils ont mon odeur, et je suis certaine qu’ils l’ont, ils ne pourront pas découvrir ma cachette. Ils sont puissants, il faut le reconnaître, mais ils ne savent pas. Même Lui, ne sait pas. Ils ont seulement repéré ma magie, mais ils ignorent la vérité. Je n’ai plus envie de faire semblant, je suis restai muette trop longtemps. Je n’ai pas demandé ça, je n’ai pas signé pour ça et tout le monde paiera cette erreur. Lui, eux, Cassie. Je vais tout détruire, je vais tout dénoncer, tout saccager. Ça sera le prix de ma vengeance. 


***







Chapitre 4


Nous étions enfin vendredi et bientôt, j’allais avoir la possibilité de faire la grasse matinée pendant deux jours. J’aurais dû rentrer chez mes parents, comme toutes les fins de semaines, mais c’était leur dixième anniversaire de mariage aujourd’hui et ils avaient réservé une chambre d’hôtel et des activités à deux. De toute façon, comme les examens de mi-session était la semaine prochaine, je n’étais pas la seule à rester sur le campus pour étudier. Mégane et Alexis seraient aussi sur place. Nous avions planifié une soirée de révisions à trois au Starbucks ce soir, puis demain, je devais aller faire les boutiques avec Mégane. Nous devions trouver le parfait costume d’Halloween pour le bal masqué annuel de l’école. 


Je sautai en bas du lit, pleine d’énergie pour affronter ma dernière journée de la semaine. Ce matin, je n’avais qu’un cours d’anglais et ensuite, du bénévolat à la bibliothèque. Je nouais mes cheveux en queue de cheval quand mon téléphone émit un bip sonore pour m’indiquer qu’un texto venait d’entrer. 


-Peut-être Alexis ? espérai-je à voix haute. 


Je me précipitai pour l’ouvrir sans tarder. Le message s’afficha sur l’écran. C’était une pièce jointe avec seulement inscrit : ouvre-moi. Je ne reconnus pas le numéro, mais ma curiosité fut plus forte et je l’ouvris. J’entendis trois coups de baguette de batterie, puis, la guitare explosa suivi de la mélodie si familière. Je sursautai et échappai mon téléphone par terre. C’était cette chanson, celle de mon rêve, Chop Suey de System of a Down. 


I don't think you trust

In, my, self righteous suicide

I, cry, when angels deserve to die


Je me bouchai les oreilles, pour ne plus entendre les paroles, mais on aurait dit que le son de la musique augmentait de lui-même. Ça allait se reproduire, pensai-je furtivement tandis que je me sentais perdre pied de la réalité. Chambre différente, époque différente, mais même chanson et même sentiment d’impuissance. Pourquoi ça recommençait ? 


I don't think you trust

In, my, self righteous suicide

I, cry, when angels deserve to die


Un poids sur ma poitrine se forma, m’empêchant de respirer. Je me mis à suer à grosses gouttes. J’essayai de me relever, mais mon corps ne m’obéissait plus. La chanson devint assourdissante et je songeai qu’on devait l’entendre à des kilomètres. Ma vision se brouilla et je vis des étoiles. Je me sentais tomber, quand une main fraîche se posa sur mon épaule. Ressentir ce contact brisa l’enchantement. 


-Cassie, est-ce que tu vas bien ? 


-Arrête la chanson, s'il te plaît, arrête-là !


-Quelle chanson ? Je n’entends rien. 


Je me passai les mains sur le visage pour essayer de remettre de l’ordre dans mes idées. Je pris mon téléphone pour vérifier. J’avais bien une pièce jointe, mais c’était une photo grotesque avec la mention : Je t’ai eue. 


-Cassie…


Je secouai la tête et déglutis péniblement. Je serrai les poings, sentant une colère sourde gronder en moi. Quelqu’un s’amusait à mes dépens et j’ignorais pourquoi, mais je n’avais pas l’intention de me laisser abattre. Je me relevai et époussetai ma jupe. 


-Désolée, Alexis, je ne voulais pas t’effrayer, tout va bien à présent. 


-Tu en es certaine ? Tu sais que tu peux me faire confiance, que tu peux tout me dire. 


Il pressa doucement ma main entre les siennes et une chaleur réconfortante déferla en moi, m’apaisant. Son regard céruléen fit battre mon coeur plus rapidement. 


-Je n’ai plus envie d’y penser, ce n’était qu’une mauvaise blague. Allons en cours, je ne veux pas être en retard. 


Il me sourit. Un sourire rassurant qui effaça ce début de matinée sombre. Il me prit par la taille et c’est ainsi, donnant l’illusion que nous étions un couple, que nous nous dirigeâmes vers les salles de cours. 


-Tu veux bien faire un arrêt au kiosque à café avant ? J’ai envie d’un chocolat chaud, ce matin. 


-Si mademoiselle le demande !


J’éclatai de rire, ce qui libéra les dernières tensions dans mon corps. 


Nous passâmes devant deux hommes au moment où une brise froide me fit frissonner et j’eus l’impression de les reconnaître, mais ce sentiment fut fugace et la seconde suivante, j’avais déjà oublié. Je commandai mon café et toujours en compagnie d’Alexis, nous nous dirigeâmes vers notre premier cours de la journée. 


***


-C’est étrange, je n’ai rien senti. 


-Que veux-tu dire ?


Ovline fronça les sourcils, absorbé par sa réflexion. Quelque chose le chiffonnait depuis qu’il était arrivé dans cette école. Une ambiance étrange y régnait. Il se tourna vers son ami et renifla l’air ambiant. Un air frais, annonciateur de neige prochaine. 


-Elle n’a pas d’odeur, murmura-t-il rêveur. 


Sa voix se perdit avec le vent qui s’intensifiait de seconde en seconde. De gros nuages noirs s’amoncelaient dans le ciel. Un orage allait bientôt éclater. Il était indifférent aux aléas de la température, ne ressentant ni la chaleur ni le froid, mais cette fille, c’était un mystère pour lui. Jamais auparavant, il n’avait rencontré quelqu’un qui n’avait aucun effluve. Tout le monde sentait quelque chose. Certains empestaient, d’autres embaumaient, mais tout le monde sans exception, avait une odeur caractéristique. C’était comme si cette fille n’existait pas. Intrigué, il voulut la suivre, mais son compagnon l’attrapa par le bras pour l’empêcher d’avancer. 


-On n'a pas le temps pour ça. Tu t’en occuperas plus tard si tu le désires, mais pour l’heure, on a une mission. Ne l’oublie pas. 


-Je ne l’oublie pas, Saël. J’ai perçu des notes de son odeur par ici il y a quelques jours. C’est étrange, on dirait qu’elle est capable de camoufler sa trace. Elle est plus puissante que nous l’imaginions. Nous devons la retrouver rapidement avant qu’elle expose notre existence aux humains. 


-Est-ce qu’elle est dans les parages présentement ?


Ovline secoua la tête. Ļa chasse était plus ardue qu’il ne s’y attendait, mais ça lui plaisait. Cet ange avait une force brute et il avait hâte de s’amuser avec elle avant de la ramener au paradis. Ce n’était pas dans le contrat, mais heureusement pour lui, Dieu fermerait les yeux sur ses incartades. Les humains avaient une vision biaisée de celui qu’ils adoraient. Rien n’était toujours tout blanc ou noir. Les zones grises, il les connaissait par coeur, les exploitait au maximum et en repoussait toujours plus loin les limites. 


Un coup de tonnerre retentit et un éclair zébra le ciel. 


-Je crois qu’on nous appelle, constata Saël. 


Le vent mugit au travers des branches et une fine pluie tomba en averse. Ovline ouvrit un parapluie et Saël se réfugia dessous, en sécurité. 


-Tu es toujours prévenant. 


Ovline esquissa un sourire et du bout des doigts, ramena une mèche derrière l’oreille de son compagnon. 


-Tu sais que tu es terriblement sexy ainsi mouillé.


Saël roula des yeux, mais un sourire fleurit tout de même sur ses lèvres. Il aimait bien les flatteries inoffensives d’Ovline. 


-On doit y aller, Il n’est pas très patient quand il est question de nous. Nous l’agaçons, je le crains.


-C’est étrange qu’elle ait pu lui échapper, tu ne trouves pas ? Interrogea Ovline, songeur. N’est-il pas omniscient ?


Saël haussa les épaules. Il ne se posait pas se genre de questions. 


-Allons-y, s’exclama alors Ovline. 


Il déploya ses magnifiques ailes vertes et Saël fut ébloui quelques secondes. Cette couleur, ce n’était que pour faire illusion, une fois là-haut, car en réalité, elles étaient à présent noires. Elles étaient brûlées, marquées à jamais du sceau des déchus. Il ne restait plus rien d’eux et de leur ancien rang, même si Ovline l’oubliait souvent.


***


Je terminais mon après-midi de bénévolat quand je reçus un texto. Je l’ouvris immédiatement en constatant qu’il provenait de Mégane. 


«Coucou toi, je suis désolée, j’ai un empêchement pour ce soir. On se voit demain pour la tournée des magasins, ok ?»


Quel était cet imprévu qui la poussait à annuler notre soirée d’étude ? En même temps, j’étais heureuse puisque j’allais me retrouver seule avec Alexis. Il était passé seize heure et déjà, le crépuscule s’installait. Profitant du fait qu’il me restait deux heures avant d’aller le retrouver, je décidai de faire une petite sieste, histoire d’être en forme pour passer la soirée avec lui. Je répondis à Mégane qu’il n’y avait pas de problème pour ce soir et que j’avais très hâte à demain, puis, j’envoyai un message à Alexis. 


«Nous serons que tous les deux ce soir, tu veux manger italien ?»


Sa réponse ne se fit pas attendre. 


«Plutôt frites et burger, si ça te dit ? Je m’en occupe. »


«Va pour ça, alors. À plus !»


Il m’envoya un émoji qui souriait et je mis le téléphone dans ma poche. Je me précipitai à ma chambre, le coeur léger. J’avais un bon pressentiment pour ce soir. 


***


J’étais adossée au muret de pierres, les bras croisés sur ma poitrine. L’herbe et les feuilles exhaltaient une odeur de terre. Au loin, je la vis arriver, sa longue chevelure alezan flottant dans son dos. La moitié de son visage était caché par une énorme écharpe multicolore et ses mains étaient protégées par des moufles tout aussi colorées. Elle regarda à gauche, puis à droite, mais elle ne m’avait pas encore aperçue. Même à cette distance, je décelai l’inquiétude qui transpirait pas toutes les pores de sa peau. Je me relevai sans me presser et marchai vers elle. Le bruit de mes talons sur le sentier de pierres la fit sursauter, mais elle reprit contenance rapidement. 


-Bonsoir, Mégane. 


-Sympa ton trench ! railla-t-elle. 


-Merci ! dis-je, ignorant son sarcasme. 


-Que me veux-tu ? attaqua-t-elle aussitôt. 


-Toujours sur la défensive, n’est-ce pas ?


Elle croisa les bras sur sa poitrine en signe de protection et me défia du regard. J’esquissai un sourire indulgent. Elle mettait beaucoup d’énergie à essayer de m’impressionner, mais ça n’avait aucune incidence sur moi. Elle aurait dû le savoir, mais je crois qu’elle essayait de gagner du temps. C’était… divertissant, mais ce soir, je n’avais pas envie de jouer. 


-Pourquoi n’as-tu pas fait ce que je t’ai demandé, Mégane ?


-Pourquoi ne fais-tu pas toi-même ta sale besogne ? rétorqua-t-elle du tac au tac. 


Je haussai un sourcil, surprise par sa véhémence, mais ennuyée de toujours devoir me battre avec elle pour qu’elle obéisse. 


-Tu as raison, tu n’es pas fiable, je vais m’en occuper à présent. J’imagine que tu n’as plus besoin de mes petits cadeaux alors ? Je suis très fière de toi, Mégane. 


Je lui tournai le dos et me dirigeai vers la sortie du parc. Seule sa respiration brisait le silence environnant. 


-Attends !


Je m’arrêtai, le sourire aux lèvres. Elle était si prévisible. 


-Non, tu as raison Mégane, dis-je décidée. Je n’ai plus besoin de toi. Je vais me débrouiller seule à partir de maintenant. Merci de m’avoir ouvert les yeux. 


Je me remis en marche, mais je sentis sa main m’attraper le poignet. 


-Attends, répéta-t-elle la voix rauque.  


Elle resserra son étreinte sur mon bras. Elle luttait si fort, mais elle n’avait aucune chance de gagner. Comme moi, elle était perdue, guidée par l’aveuglement et l’incompréhension. 


-Reste, murmura-t-elle. S’il te plaît, ne me laisse pas.


Il y avait tant de douleur dans ses mots, tant de désespoir que j’en fus touchée. Elle était plus paumée que moi alors qu’elle, elle était libre. C’était pathétique. Je me retournai pour la contempler. Des larmes scintillaient dans ses prunelles grises. 


-C’est la dernière fois que tu me fais ce coup, Mégane, tu m’entends ? Je ne veux plus que tu discutes mes ordres et je ne veux plus que tu interfères. Est-ce que tu m’as bien comprise ?


Elle hocha faiblement la tête, vaincue. Je la dominai de toute ma hauteur. 


-Lundi, je veux que les copies soient partout dans l’école, est-ce que c’est clair ?


Je la vis serrer les dents, mais elle prit sur elle-même et hocha faiblement la tête en signe d’assentiment. 


-Parfait ! m’exclamai-je ravie. 


J’attrapai le petit sachet qui traînait au fond de mon sac à main et ses yeux s’allumèrent de convoitise. Puis, tout à coup, sortant de sa torpeur mélancolique, elle me lança d’une voix passionnée : 


-Tu ne pourras pas gagner, tu ne pourras pas les séparer. Il l’aime, je le sais. 


J’éclatai de rire devant tant de naïveté. Comment cela avait-il pu lui échapper ? Comment était-il possible qu'elle n'ait pas encore compris ? Je m’avançai vers elle et d’un geste doux, je déposai la drogue dans sa main, son rêve blanc, et refermai sa paume. 


-Tu es mignonne, Mégane, mais tu es complètement idiote. Je n’ai pas l’intention de les séparer, j’ai l’intention de tuer Cassandre ! 


Chapitre 5


Saël inspira profondément avant de pénétrer dans l'enceinte de l'immense château où une jeune demoiselle aux yeux étoilés et à la chevelure cendrée les accueillit avec un large sourire avenant.


-Saël, Ovline, bienvenue en ce lieu. Que puis-je pour vous ?


-Nous avons été demandés, déclara Ovline en pointant le plafond du doigt. 


-C’est plutôt inhabituel, s’étonna-t-elle. Surtout pour des anges de votre rang. Sans offense, bien sûr.


Ovline se raidit devant l’affront de l’aile dorée. Sous ses airs innocents, elle cachait une volonté propre à son statut et son travail. Saël, quant à lui, fit fi de la boutade et s’avança vers le bureau en marbre mordoré de la jeune fille.


-Anaëlle, je sais que notre venue n'est pas coutumière, mais nous avons été convoqués. Tu peux vérifier, si tu le désires, nous allons attendre. 


Elle haussa un sourcil parfaitement dessiné. Ovline eu du mal à maintenir sa concentration. Elle irradiait d'une chaleur et d'une beauté à couper le souffle. Son coeur s'emballa dans sa poitrine. Il ne comprenait pas pourquoi il réagissait aussi violemment au contact d'une aile dorée. À croire qu'il n'en avait jamais vue jusqu’ici ! La Séraphine se leva et il fut happé par un maelstrom d'émotions. Il recula sous le choc et se rendit compte que Saël n'en menait pas large non plus. 


-Qu’est-ce qui se passe ? demanda Ovline, d’une voix étrangement distorsionnée. 


Anaëlle contourna son bureau de marbre, les épaules rejetées en arrière, sa longue robe stellaire bruissant légèrement à ses mouvements et ses magnifiques ailes, d’un doré pur, déployées derrière elle. Saël jura, oubliant l'endroit sacré où il se trouvait. Ovline quant à lui, eu l'impression de s’embraser comme une minable fourmi sous la loupe au soleil d'un enfant impitoyable. Tout à coup, le doute et la panique le gagna. Allait-on l'exécuter ? Était-ce là le but de cette petite mascarade ? Les séraphins avaient ce pouvoir, mais ils l’utilisaient peu. Mais eux, ils avaient déjà traversé la ligne en commettant un acte terroriste. Dieu en avait peut-être eu assez de leurs incartades et de leur échec à retrouver la fille. Il frissonna de terreur. Allaient-ils brûler vif sans autre cérémonie ? Il ferma les yeux pour se protéger du rayonnement et ce fut alors qu’il vit la vérité. 


-Dissipation, murmura-t-il agacé. 


L’illusion se rompit à l'instant. Saël lâcha un soupir de soulagement et se cramponna un instant à l'épaule de son ami pour reprendre ses esprits. 


-Anaëlle ? questionna abruptement, Ovline. 


Un large sourire, qui le bouleversa malgré lui, se peignit sur le visage de la jeune femme.


-Je suis désolée, dit-elle avec candeur. Nous soumettons tout le monde au test pour nous assurer qu’aucun démon mal intentionné ou très rusé ne puisse accéder à Lui. Nous ne sommes jamais trop prudents, vous en serez certes d’accord avec moi, n’est-ce pas ?


Saël hoche la tête mécaniquement, mais Ovline, lui, resta bouche-bée, indigné qu’on ait mis son intégrité en doute. Sous la surprise que les deux amis affichaient, Anaëlle éclata de rire. Un son doux, vibrant et cristallin. Une note parfaite qui rappelait la brise des fins d’été.


-Pardonnez-moi, messieurs. Il reste que votre requête est inhabituelle…


Ovline ouvrit la bouche pour la couper dans son discours, mais elle poursuivit sans faire attention à lui. 


-Oui, je sais, vous avez dit qu’Il vous avait convoqué, mais en temps normal, j'aurais rejetée votre demande, car ce n’est pas la procédure, mais, dit-elle en appuyant fortement sur le mot, on m’informe que vous pouvez monter. Il vous attend.


-Merci pour votre aide, Anaëlle.


-C’était un plaisir de te voir, Saël et toi aussi, Ovline. 


Il grogna sans rien répondre. Il était toujours vexé qu’on se soit joué de lui et surtout, d'avoir réagi avec autant de couardise. Sur terre, il avait tant de liberté qu’il en oubliait parfois les protocoles du paradis. Surtout qu’il n’était jamais amené à rencontrer Dieu, il recevait ses ordres par un tier. Puis, même quand il était un Archange digne de ce nom, il ne côtoyait jamais le Tout Puissant, c’était les séraphins qui lui transmettaient les messages. Eux seuls avaient la chance de fréquenter Dieu, d’où leurs ailes dorées imprégnées de Sa splendeur, et leur surnom.  


Saël s'inclina légèrement devant la Séraphine et tous les deux se dirigèrent vers l’immense escalier bariolé d’argenté et de noir où étaient dessinés des millions de petites étoiles aux centaines de constellations. Saël observa les marches, fasciné.


-On croirait mettre le pied sur l’univers, s'étonna-t-il. C'est magnifique.


Ovline opina de la tête sobrement. Il était moins ébloui par les artifices de cet endroit. Ce n'était pas qu’il n’aimait pas le paradis, ou même Dieu. En fait, c’était tout le contraire et c’était pourquoi il avait fait ce qu’il avait fait, avec les conséquences qui s’étaient ensuivies. Il n’était pas amer, mais il détestait l’hypocrisie de celui qu’il allait rencontrer. Du moins, c’était ainsi qu’il définissait les choses, mais secrètement, il était heureux de ne pas avoir été banni. Jamais il n’aurait pu survivre sur terre sans magie et surtout en sachant ce qu’il savait. C’était la pire des punitions, pire que la mort, ça c’était certain et c’est pour ça qu’il comprenait la fille, en quelque sorte. Sa proie. Cependant, cela ne changeait absolument rien à sa détermination de la capturer et à l’éliminer. Entre elle et lui, il se choisissait, bien sûr. 


-Tu viens, Ovline, nous ne devrions pas trop tarder, Il nous attend. 


Saël le pieu, le craintif, celui qui ne voulait jamais déplaire, mais qui le suivait en fermant les yeux, silencieux. Il n’était pas sans faille, mais il avait plus d’humanité que lui. Ovline savait ce qu’il en avait coûté à son compagnon de perdre son angélisme au profit de ses idéaux à lui. Des anges étaient morts ce jour-là, par leur faute. Des innocents, des dommages collatéraux. C’était inévitable, non ? Quand on avait une cause, il fallait l'embrasser jusqu’au bout, peu importe l’issue finale. C’est ce qu’il croyait et il ne déviait pas de ce principe. Les anges étaient conçus pour rester au paradis et non aller se ballader sur terre comme si de rien n’était. Ça n’avait aucun sens. 


-Je te suis !


Enfin devant la porte, Ovline marqua une pause. La montée avait été longue et plutôt éprouvante pour son corps non entraîné. Pour se déplacer, la plupart du temps, il volait, alors monter toutes ces marches avait mis à rude épreuve son coeur qui cognait très fort contre sa poitrine. Il avait la désagréable impression qu'il allait exploser sa cage thoracique en milliers de morceaux fins et tranchants. Il jeta un coup d'oeil furtif à Saël qui ne semblait pas le moins du monde affecté par leur petite escapade vers les cieux. Il n'avait même pas le front luisant de sueur alors que lui, était en nage. Il inspira profondément et expira de la même manière pour essayer de reprendre son souffle. Saël esquissa un sourire taquin.


-Un problème Ovline ? le nargua Saël.


-Ne te moque pas...


-Maintenant que tu as repris un peu contenance, tu es prêt à Le rencontrer ?


Ovline ressentait une certaine appréhension qu’il essayait de camoufler du mieux qu’il pouvait. Il n’avait pas vu Dieu très souvent et il avait l’impression que celui-ci allait les châtier pour leur inefficacité à trouver la fille. Sinon pourquoi les faire venir en personne et utiliser tous les subterfuges pour les faire passer pour ce qu’ils n’étaient plus ? Malheureusement, il ne pouvait pas reculer. Il redressa donc le dos et rejeta les épaules en arrière. C’était la seule attitude qu’il connaissait contre la peur. Ils s’avancèrent vers l'aile dorée qui attendait patiemment devant la porte. Sa luminosité était encore plus forte et impressionnante que celle d’Anaëlle.


-Saël, Ovline. Bienvenue.


Sa voix était chaude et caressante. Ovline sentit que Saël inspirait profondément. 


Le séraphin ouvrit l’immense porte et s’effaça pour les laisser passer. Le temps se suspendit.


Ils pénétrèrent à l’unisson dans l’imposante salle où près d’une fenêtre, un homme se tenait. À leur entrée, Il se retourna et le regard de Saël croisa le Sien.


Cosmique. Pénétrant. Vivant.


Des larmes, inattendues, coulèrent sur les joues de l’Archange et il tomba à genoux, secoué de sanglots. Pourtant, il avait déjà été en Sa présence, mais un sentiment très puissant et étourdissant l’avait happé à Sa vue. Sa lumière n’avait aucune égale. Il voyait les galaxies dans ses prunelles. Ses jambes faiblirent et il eu l’impression de mourir puis ressusciter, encore et encore. C’était un enivrement si puissant, qu’il eu peur de se briser, tout en sachant que c’était impossible.


-Je vous remercie de vous être déplacés. 


Ovline se retourna vers son compagnon et il fut estomaqué de le retrouver prosterné au sol. Il savait que Saël était plus angélique que lui, mais de voir ainsi l’effet de Dieu sur lui, eut le don de le secouer. 


-Relève-toi, Saël. Je veux vous parler face à face. 


Il s’exécuta et Ovline lui pris la main, instinctivement, pour le rassurer. 


-J’ai une proposition à vous faire. Venez avec moi, je vais vous montrer quelque chose. 


Les deux Archanges lui emboîtèrent le pas et Il les guida vers l’immense baie vitrée sur le mur du fond. La salle était vaste et dénuée de couleurs. Seul le plancher au carrelage damier blanc et noir, ressortait. Une fois devant la fenêtre, Ovline s’arrêta, pris de vertige devant l’incommensurable vastitude qui s’ouvrait devant lui. À tort, il avait cru qu’on y verrait ce que les humains appelaient le jardin d’Éden, mais ce n’était pas du tout ça. Derrière la vitre, ils pouvaient contempler la terre et ses un peu plus de sept milliards d’habitants. De voir tous ces gens bouger, vivre et mourir en temps réel l’enivra d’une émotion si forte qu’il tangua dangereusement, comme s’il était sur un bateau lors d’une tempête. Saël attrapa le bras d’Ovline pour éviter qu’il ne tombe. 


-Impressionnant, n’est-ce pas ? Vous vous demandiez pourquoi je ne la trouvais pas, voici une partie de la réponse. 

-Elle pourrait être n’importe où et n’importe qui ! s’exclama Saël. 


-Tout juste. Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsqu’un ange décide de s’incarner, il perd sa signature divine et prend celle d’un humain, qui est totalement différente. En règle générale, je connais l’identité de la future incarnation de l’ange. Cependant, par votre crime, vous avez saboter l’incarnation de plusieurs anges et j’ai perdu leur trace. 


Dieu se déplaça lentement vers le côté gauche de la baie vitrée et pointa un doigt vers une zone rurale. Une lumière éclatante se forma au-dessus de l’endroit et Ovline reconnut l’école où ils étaient plus tôt. 


-Vous êtes sur la bonne voie, comme vous le constatez. Quand elle utilise sa magie, elle devient comme un point lumineux sur la carte. Par contre, et c’est là que c’est étrange, ce point disparaît rapidement et je n’ai pas le temps de la localiser avec précision, ni de voir qui elle est. 


-Elle ne devrait pas pouvoir utiliser de magie, comment est-ce possible ? demanda Saël.


Dieu esquissa un sourire. 


-Eh bien, votre petite rébellion a tout gâché. Il semblerait que ce jour-là, ceux qui allaient s’incarner ont gardé la mémoire de ces lieux et certains, leurs pouvoirs. C’est très dangereux, vous comprenez pourquoi ?


Saël détourna le regard, honteux. Ovline resta de marbre. Il croyait en ses convictions et en ce qu’il avait fait. Il n’était pas normal qu’un ange désire se réincarner et renoncer à l’immortalité. Ces êtres étaient déviants, défectueux et surtout, redoutables. Il fallait les arrêter. 


-Je vois bien comment tu te sens, Ovline et je sais ce que tu penses. Ça n’a jamais été un mystère pour moi. Je n’ai pas été surpris par tes actes, ils étaient logiques vu ta propension pendant des années à essayer d’enrayer ce nouveau système qui avait été mis en place. Mais ce n’est pas à toi de décider.  


Ovline serra les poings, offusqué de se faire remettre à sa place ainsi. Saël déposa sa main sur son bras pour l'apaiser. 


-Maintenant que vous avez vu, voici ce que je veux vous proposer. Cette offre, je ne vous la ferai pas deux fois, sachez-le. 


Un frisson glacial parcourut l’échine d’Ovline, qui se raidit. L’air ambiant se chargea de particules électriques. La main de Saël se crispa sur le bras de son ami. Les deux Archanges pressentaient que ce qu’on allait leur dire changerait à jamais leur vie. Dieu marcha jusqu’à une armoire et l’ouvrit lentement dans un bruit de grincement sordide. Tout à coup, il n’y avait plus rien de féérique et d’angélique en ces lieux. Dieu sortit une seringue avec un liquide turquoise à l’intérieur. Il revint vers Ovline et Saël et leur tendit l’instrument. 


-Cette arme que je vous donne n’est utilisée que dans de rares occasions. 


Saël et Ovline hochèrent de la tête simultanément. 


-Bien. Voici le contrat. Il faut arrêter cet ange avant qu’elle ne fasse trop de dégâts sur terre et qu’elle dérègle le contrôle que j’y ai instauré. Elle n’est plus elle-même, son âme a été altéré d’une quelconque manière le jour de son incarnation. Je ne peux pas la sauver. Tuez-là pour moi, et je vous redonnerai vos ailes et votre rang. 


-Vous voulez dire que vous nous demandez de détruire son âme ? Questionna doucement Saël. 


-Exactement. 


Saël recula sous le choc de cette révélation. 


-Malheureusement pour elle, il n’y a aucune rédemption possible. Ce liquide la détruira définitivement. Seul un sacrifice pourrait annuler le sort. Si c’était le cas, alors son âme serait sauvée, mais j’ai confiance en vos capacités. Vous saurez mener à bien cette mission que je vous confies. N’est-ce pas Saël ?


Il hocha machinalement la tête, mais le sang dans ses veines étaient glacé d’effroie.


-Vous pouvez disposer ! 


Ovline, prévenant et conscient du désarroi de son compagnon le prit par la taille et ensemble, ils quittèrent la grande salle. 




Chapitre 6


Je cognai à la porte de sa chambre, fébrile. Je lissai mes cheveux d’une main et replaçai ma jupe pour être parfaite. 


-C’est ouvert, entre !


J’ébauchai un sourire joyeux et ouvris la porte. Une odeur de friture alléchante titilla mes narines. Je regardai la petite chambre et aperçus Alexis au fond de la pièce, en train d’installer son enceinte de musique. 


-Tu as envie d’écouter quel genre ?


Il se retourna et se figea, le téléphone à la main. Il cligna des yeux plusieurs fois, comme si ça allait me faire disparaître. 


-Où est Cassie ? 


Je roulai des yeux, agacée. Il était toujours question d’elle, même quand elle n’était pas là. Comment était-ce possible que tant de gens la protègent et l’apprécient ? Elle était si insignifiante. 


-Aucune idée, dis-je en haussant les épaules, mais je me suis dit qu’il était temps de renouer notre ancienne relation. 


Sa mâchoire se contracta et ses jointures blanchirent sous la colère qui affluait en lui. Il avança en trois enjambés jusqu’à moi et me défia de toute sa hauteur. 


-Sors d’ici, tout suite !


-Tu m’as invitée, je ne vais pas partir !


-J’ai invité Cassie, pas toi. 


-À l’instant, je veux dire, tu m’as dit d’entrer. 


Il soupira fort, irrité. 


-Je croyais que c’était Cassie, dit-il d’une voix sourde. 


-Eh bien, non, comme elle n’est pas là, autant profiter de ma présence ! 


Je le contournai et me dirigeai vers son lit. Il avait installé une petite table basse où il avait mis une jolie nappe avec des lys jaunes dessus. Il avait sorti des assiettes blanches et posé les burger avec les frites dedans. C’était si mignon. J’en fus émue, mais ce sentiment se dissipa rapidement pour faire place à une haine féroce envers celle pour qui il avait eu cette attention. Je me penchai et chapardai une frite dans l’une des assiettes. Elle était délicieuse. 


-Arrête ça tout suite. Je ne te le demanderai pas une deuxième fois, sors de ma chambre. 


Je me relevai et me retournai pour lui faire face. Je n’avais plus envie de rire. 


-Je souhaiterais passer la soirée avec toi, ne pourrais-tu pas essayer d’oublier nos anciennes querelles ?


Je m’avançai lentement vers lui, ondulant des hanches. Je posai ma main sur son épaule et avec une lenteur étudiée, j’approchai ma bouche de son oreille.


-Tu sais que ça pourrait être très bon !


Je glissai un doigt le long de son torse ferme. Il déglutit, mais ne réagit pas. Je me pressai contre lui et un bonheur brut déferla en moi. De le sentir si près, de m’enivrer de son parfum boisé et de l’odeur de son shampoing, me faisait perdre toute retenue. Une émotion fiévreuse déferla dans mon corps, réveillant en moi un désir puissant, douloureux. Je posai mon front sur sa poitrine, et m’agrippai à son t-shirt dans son dos.  


-Ne me rejette pas, Alexis, s’il te plaît, ne me rejette pas. 


J’étais confuse et fiévreuse. Je serrai plus fort ma poigne, désespérée, mais il ne répondit pas à mon geste. Il allait m’échapper, il glissait déjà, lentement, loin de moi. À contre coeur, je m’éloignai et rejetai les épaules en arrière. 


-Je suis consciente, que je ne m’y prends pas de la bonne manière dis-je à voix basse. 


Je me dirigeai vers la porte et l’ouvris, la main tremblante. 


-Je n’ai pas envie que tu m’aimes par la force, je veux que tu me choisisses. 


-C’est…


-Ne dit rien, le coupai-je vivement. 


Je fis un pas dans le couloir, puis, me retournai vers lui. Il était au milieu de la pièce, droit, fier, parfait. Je serrai les dents pour me faire violence, pour ne pas le brusquer. Ça n’allait pas marcher, sinon. 


-Est-ce que tu es amoureux de Cassie ?


Il soutint mon regard et je me sentis chavirer.


-Elle est comme ma soeur. 


-Ça ne répond pas à la question. 


Il garda le silence et un mince espoir fleurit en moi. 


-Peut-être réaliseras-tu bientôt qu’elle n’est pas celle que tu crois…


-Tu ne réussiras pas à la dénigrer à mes yeux, notre amitié est plus forte que ça.


-En es-tu certain ?


Il s’avança jusqu’à la porte et me poussa plus loin dans le corridor. 


-Va-t-en, et ne reviens pas !


-Ça risque d’être bien compliqué ce que tu me demandes et tu le sais aussi bien que moi, mais soit, je vais partir pour aujourd’hui. N’oublie pas une chose, cependant : pour la bonne santé de Cassie, je te conseille de me réserver un accueil plus chaleureux, la prochaine fois. 


Je tournai les talons et le laissai planté là. J’entendis sa porte claquer et je ne pus m’empêcher de ressentir une petite victoire. Je ne prenais pas cette retrouvaille comme un complet fiasco. Il avait été surpris de me voir, ce que je comprenais parfaitement. Il y avait longtemps que je ne lui avais pas rendu visite. Mais à présent, rien ne pourrait plus m’arrêter. J’allais réussir à le séduire, Cassie n’avait aucune chance avec sa timidité et son attitude sainte-nitouche. J’avais failli réussir, il y a deux dans, alors je savais qu’au fond de lui, il gardait des sentiments pour moi. Je devais simplement être patiente et bien jouer le jeu. 


***


-Cassie, Cassie, ouvre-moi ! Cassie !


Je me réveillai en sursaut et lâchai un juron en comprenant que j’avais passé tout droit pour la soirée avec Alexis. À l’entendre, il était clair qu’il était inquiet. Je ne l’avais même pas prévenu et il avait dû penser qu’il m’était arrivé quelque chose. J’ouvris la porte à la volée et il rentra en coup de vent. 


-Cassie, mon dieu, j’ai eu si peur.


Il s’arrêta net, coupé dans son élan, et me détailla, les joues de plus en plus rouges. Je réalisai, trop tard, que j’étais en petite culotte (et pas les plus sexy). Tout mon corps s’embrasa tel un feu de forêt. 


-Zut !


Il me dévisageait, incapable de détourner les yeux. 


-Enfin, Alexis, tourne-toi !


-Oh, oui, pardon ! s’exclama-t-il honteux. 


Il s’exécuta et j’allai farfouiller dans ma garde-robe pour en sortir un jean délavé que j’enfilai rapidement, ainsi qu’un vieux t-shirt. Me sentant déjà beaucoup plus à l’aise, je lui indiquai qu’il pouvait se retourner. 


-Je suis désolée, Cassie, je ne voulais pas...


-Ne t’en fais pas, c’est oublié. 


Je pris un élastique qui trainait sur ma table de nuit et j’attachai mes cheveux pour essayer de leur donner un semblant d’aspect normal. Pendant ce temps, Alexis tira le coffre près de ma coiffeuse au milieu de la pièce et déposa son sac. 


-On avait rendez-vous, non ?


Je sentis à nouveau mes joues s’enflammer. 


-Pour étudier, tu te souviens ?


Je relâchai ma respiration et me forçai à sourire. Dans ma tête, je me traitai d’idiote et de tous les autres noms d’oiseaux existants. Qu’est-ce que j’avais crû ? Je pris place en face de lui et il déballa les burgers et les frites. 


-À la reine du bal ! clama-t-il en trinquant avec nos boissons gazeuses. 


-Ne dit pas de bêtises, Alexis. Personne ne votera pour moi ! Mégane a beaucoup plus de chance de gagner.


-Tu te regardes parfois dans un miroir ?


-Oui, justement, tous les jours et je ne vois rien d’extraordinaire. J’ai des boutons sur le front et mon corps est disproportionné. Puis mes cheveux qui ne font qu’à leur tête, on en parle ? 

-Ils sont très bien tes cheveux, qu’est-ce que tu racontes ? 


Je piquai du nez dans mon assiette et engloutis quelques frites pour ne pas à avoir à lui répondre. 


-Bon, ça te gêne, je le vois bien, mais tu ne devrais pas être si négative face à ton image, tu es belle, Cassie, bien plus belle que les filles pimpées qui mettent des filtres sur Insta pour paraître plus jolies. 


Mon coeur s’emballa et je déglutis avec difficulté, incapable d'aligner une pensée intelligente. Un flash me revint soudainement et je lâchai sans réfléchir : 


-C’était qui la fille qui était avec toi, lundi, avant le cours d’astronomie ?


Il fronça les sourcils, incertain. 


-La fille, continuai-je, celle avec les longs cheveux noirs et le collier en forme de demi-lune. Elle t’a embrassé sur la joue…


-Qu’est-ce que tu racontes, Cassie, aucune fille ne m’a embrassé…


Je me levai pour aller chercher des serviettes en papier, mais ce n’était qu’une excuse pour cacher ma déception. 


-Pourquoi me mens-tu ? demandai-je, le dos tourné. 


-Je ne te mens pas. Il n’y avait pas de fille, tu as dû me confondre avec un autre.


Je déglutis, mal à l’aise. Sa voix semblait sincère. De plus, pourquoi me mentirait-il à ce sujet ? Il avait le droit de fréquenter qui il voulait. Je l’entendis s’approcher de moi et il me prit dans ses bras. 


-Pourquoi tu me parles de ça ? 


-Je ne sais pas, elle semblait vraiment très près de toi. Comme si vous étiez… un couple. 


Il me retourna et ce que je lus dans ses yeux me bouleversa. 


-Décris-la-moi mieux, demanda-t-il. Qu’est-ce qu’elle avait de spécial ? 


-Je ne me souviens pas bien…


-Essaie, s’il te plaît, c’est important. 


Je me demandai pourquoi ça l’était autant puisqu’il devait déjà la connaître, mais je m’efforçai de me souvenir pour accéder à sa demande. Je fermai les yeux et me replongeai dans le passé, quand je les avais aperçus tous les deux devant la porte de la classe. 


-Elle était assez grande, avec des cheveux sombres et ses yeux étaient d’un turquoise perçant. Je n’avais jamais vu une telle couleur auparavant. Ils étaient hypnotisants et fournis de longs cils noirs. Elle avait des doigts élancés avec des bagues en argent et elle portait ce collier, comme je t’ai dit. Ah, oui ! Elle avait aussi un grain de beauté juste ici, dis-je en pointant le dessous de mon oeil droit.


Alexis se passa la main sur le visage et se mit à faire les cent pas dans ma chambre. Il semblait nerveux, agité et j’ignorais pourquoi. 


-Il n’y avait pas de fille, finit-il par répéter. 


Je croisai les bras sur ma poitrine. 


-Je l’ai vu, dis-je obstinée. 


-Oui, peut-être, mais elle n’était pas… réelle. 


Il s’arrêta de tourner en rond et me dévisagea, inquiet, mais aussi en colère. Ça se voyait à l’éclat dans ses prunelles bleutées. Je me raidis, d’instinct. 


-Enfin, Cassandre, tu m’as dit que tu prenais bien tes médicaments, lâcha-t-il sur un ton accusateur. 


-C’est donc de ça qu’il est question ? Tu vas me faire la morale encore une fois ? 


-C’est toi qui m’as parlé la première de cette fille, puis, tu sembles très fatiguée ces derniers temps et tu as recommencé à faire des cauchemars. Tu ne peux pas arrêter de les prendre parce que tu crois aller mieux, tu le sais non ? C’est dangereux. 


Piquée au vif, je me précipitai à ma commode, là où je rangeais le flacon de pilules et le sortis. J’écarquillai les yeux en regardant à l’intérieur. Je le secouai brutalement, mais ça ne changea rien. Il était toujours plein, alors qu’il aurait dû être à moitié vide, j’en étais certaine. N’avais-je pas vécu le même problème, il y a quelques jours ? Déconcertée, je tombai à genoux, le corps secoué de sanglots. Alexis s’abaissa à mes côtés et voulut me prendre dans ses bras, mais je le repoussai avec force. 


-Va-t-en !


-Cassie, laisse-moi t’aider. 


-J’ai dit va-t-en ! criai-je. 


Je l’entendis se relever puis se dirigeai vers le coffre. Il remballa la nourriture et replaça le meuble près de ma coiffeuse. 


-Je t’ai laissé ton burger, s’il te plaît, mange un peu et nous reparlerons demain. 


Sa voix douce et attristée me serra le coeur. Je restai pourtant muette, des larmes coulant toujours le long de mon visage pour aller s'écraser sur le tapis gris de ma chambre. Je l’entendis refermer la porte et prise d’une rage incontrôlable, je lançai le flacon de pilules à travers la chambre où il explosa contre le mur. Comment était-ce possible que je n’avais pas pris le médicament ? Je n’en gardais aucun souvenir. Terrifiée par ce que cela signifiait, je me recroquevillai contre ma table de nuit et mon lit et me berçai doucement. Épuisée, je sombrai doucement dans le sommeil quand dans la nuit feutrée de ma chambre, j’entendis : 


-Ta vie pour ma vie. 




  









Chapitre 7


-Tu vas sortir de cette cabine d’essayage, oui ou non ? 


-J’arrive, deux secondes ! 


Je regardai une fois de plus mon téléphone, mais je n’avais aucun texto. Alexis ne m’avait pas écrit depuis notre dispute hier soir. J’avais fini par m’endormir sur le tapis, roulée en petite boule. Ce matin, il m’avait fallu toute ma volonté pour me lever et m’habiller. J’avais l’impression que mon coeur était brisé en deux. J’avais tellement mal qu’il m’était difficile de fonctionner en faisant semblant du contraire. Je n’avais pas voulu gâcher la journée de Mégane, donc je ne lui avais rien dit, mais il m’était pénible de jouer le jeu et donner le change. Sourire me demandait des efforts considérables et j’étais déjà complètement épuisée. Cependant, toute cette histoire était de ma faute. J’avais réagi avec une telle violence que je ne comprenais pas ce qui m'avait pris. Depuis les derniers jours, j’avais l’impression de glisser sur une pente sans fin. Tout semblait m’échapper. 


-Cassie ! s’impatienta Mégane.


Je rangeai le téléphone dans mon sac à main et me promis de ne plus le regarder du reste de la journée. 


-Voilà ! dis-je en sortant de la cabine et en tournoyant sur moi-même. 


Je m’arrêtai et lui souris. 


-Tu en penses quoi ?


-Humm…


-Tu n’as pas l’air convaincue…


Elle m’inspecta, les yeux plissés.


-Non, ça ne le fera pas. 


Je soupirai, désespérée. C’était le quatrième costume que j’essayais et je me désolais de trouver quelque chose de convenable. Je marchais dans la boutique quand j'aperçus des ailes d’ange. Elles étaient grandes et les plumes soyeuses au toucher. Je fus conquise et les battements de mon coeur s'accélérèrent d’excitation. 


-Mégane, viens vite, j’ai trouvé le déguisement parfait. 


Elle me rejoignit et je vis son visage perdre ses couleurs quand elle réalisa que mon enthousiasme était pour le costume d’ange. 


-Non, pas celui-là, c’est trop banal !


-Mais qu’est-ce que tu racontes, tu as vu les ailes, leur splendeur ? m’indignai-je. 


-Tout le monde se déguise en ange ou en princesse à Halloween. C’est commun. Tu ne veux pas être comme les autres, non ?


-Je pourrais les peindre en noir et prétendre que je suis un ange déchu. Ça serait plus “Halloween”. 


Je crus que Mégane allait défaillir. Elle tituba et se rattrapa à un portant de chapeaux. 


-Qu’est-ce qui t’arrive ? m’inquétai-je. 


Elle inspira trois fois avant de reprendre ses esprits. 


-Je crois que j’ai faim, dit-elle finalement. Il fait chaud ici et j’ai des étourdissements. Allons ailleurs d’accord ?


-Mais les ailes ?


Je voyais bien qu’elle n’arrivait pas à trouver d’autres arguments valables pour m’empêcher de les acheter. Je n’avais pas envie de porter un costume grotesque avec du sang où un masque débile, je voulais plutôt quelque chose de mignon et de sexy sans être trop provocateur. J’avais l’impression que le déguisement d’ange allait peut-être réussir à me rapprocher d’Alexis. Grâce à lui, je pourrais lui transmettre un message. Lequel ? Là tout de suite, je l’ignorais, mais je sentais que c’était important que je fasse ce choix. Je payai mon achat et nous sortîmes chercher un restaurant. Mégane babillait de tout et de rien sur le trajet et j’essayais de l’écouter, mais je n’avais qu’une obsession en tête : regarder mon téléphone. Ça me démangeait les doigts tellement je le désirais, mais je m’étais promise de faire plus attention à mon amie et je voulais respecter cet engagement. Nous nous arrêtâmes enfin devant une cantine où l’odeur alléchante de frites me fit saliver. 


-Tu ne parles pas beaucoup aujourd’hui, Cassie, est-ce que quelque chose ne va pas ?


Je sirotai ma boisson gazeuse en attendant notre nourriture. J’essayais vraiment de porter attention à mon amie, mais je retombais sans cesse dans ma mélancolie. J’inspirai et des larmes débordèrent de mes paupières. Mégane se leva d’un bond et vint me rejoindre de mon côté de banquette. 


-Qu’est-ce qui se passe, Cassie ?


-J’ai eu une énorme dispute avec Alexis hier et depuis, il ne me parle plus. 


Elle me serra fort dans ses bras et je reniflai de plus belle. 


-Je suis certaine que ça va s’arranger. Vous vous connaissez depuis trop longtemps pour que ça se termine comme ça. Laisse-lui le temps de digérer un peu la pilule. 


-Oui, tu as certainement raison. Je suis désolée, je gâche toute cette journée qu’on avait prévue ensemble.

 

-Mais qu’est-ce que tu racontes, tu ne gâches rien du tout. Tu vis un moment difficile, je comprends ça. 


-Merci, tu es la meilleure, meilleure amie que je peux avoir. 


Je lui fis un câlin à mon tour. J’avais beaucoup de chance qu’elle soit compréhensive. J’avais quelques amitiés, mais rien n’était aussi fort que ce que je vivais avec Mégane et pourtant, je ne la connaissais pas depuis si longtemps. Ça avait cliqué entre nous dès qu’on s’était rencontré la première fois. Nous sortions du restaurant quand je sentis mon téléphone vibrer. Je le sortis, le coeur battant, croisant les doigts que c’était un message d’Alexis. Le numéro qui s’afficha m’était inconnu. 


-C’est lui ? questionna avec empressement, Mégane. 


-Je ne sais pas, ce n’est pas son numéro. 


-Allez, ouvre-le, tu verras bien. 


Je suivis sa suggestion et commençai à lire le texto. Le bonheur remplaça peu à peu toute la peine que j’avais ressentie aujourd’hui. 


-À voir ton sourire, c’est sûr que c’est lui. 


Je hochai la tête affirmative. 


-Il veut qu’on se rencontre au Starbucks pour discuter. 


-Je suis trop heureuse pour toi, Cassie. Tu mérites d’être heureuse. 


Elle me pressa la main et me sourit avec gentillesse. 


-Ça tombe bien, car j’allais justement essayer de trouver une excuse pour filer. Je suis morte de fatigue. 


Je fus émue aux larmes de sa délicatesse. 


-Merci, Mégane, je l’apprécie tellement. 


-Je sais, par contre, je ne démords pas de mon idée, ton costume d’ange est quétaine !


-Je vais l’assumer ! m’exclamai-je en riant.

 

-J’espère bien, le bal costumé est la semaine prochaine, tu n’as plus le temps de faire les boutiques. 


Elle me fit une accolade et me quitta. Le soleil déclinait rapidement à l’horizon et je frisonnai sous la froideur qui s’installait. J’ajustai mon énorme écharpe jaune et noire et me mise en route pour aller rejoindre Alexis. J’étais à mi-chemin, quand j’entendis des pas derrière moi. Ce n’était pas inhabituel, mais étrangement, les battements de mon coeur s'accélérèrent. Je tendis l’oreille pour détecter s’il y avait plus d’une personne, ce qui semblait être le cas. Je ralentis, pour les laisser passer, mais les pas ralentirent eux aussi. Paniquée, je repris un rythme plus rapide et les personnes derrière moi firent pareil. En jetant un oeil sur le côté, je distinguai leurs ombres gigantesques se profiler jusqu’à moi. Je n’étais pas dans une rue passante et seul le bruit des feuilles automnales piétinées s’élevait dans le silence de la nuit naissante. Les lampadaires n’éclairaient pas encore les rues sombres. Je dus me faire violence pour ne pas courir. Je ne voulais pas montrer que j’avais peur. Discrètement, j’essayai de farfouiller dans mon sac pour récupérer mon téléphone. Mes mains étaient moites de transpiration. Une bourrasque glaciale se leva et j’entendis un rire résonner dans la noirceur ambiante. Glacée d’appréhension et incapable de me contrôler, je me retournai pour voir qui était derrière moi. C’était les deux hommes que j’avais déjà aperçus à l’école. L’un des deux, celui avec la longue chevelure dorée, me sourit. Un sourire qui me fit froid dans le dos, qui réveilla mes plus vieux instincts de survie. Un sourire carnassier. 


Sans plus réfléchir, je m’élançai en courant vers le boulevard au loin, là où il y avait une certaine activité, mais aussi, des lumières et la sécurité. Le rire, le sien ? tinta à nouveau dans le calme affolant de la rue. 


-Elle est marrante celle-là ! s’exclama l’un des deux hommes. Comme si elle pouvait nous échapper. 


Terrifiée, le coeur serré et l’adrénaline coulant dans mes veines, je ne m’arrêtai pas pour regarder ce qu’ils faisaient. J’avais peur pour ma vie, je ne comprenais pas ce qui arrivait. Qui était ces deux hommes, que me voulaient-ils ? Des larmes d’affolement envahirent mes yeux. 


-Je m’amuse beaucoup à te voir t'agiter comme une souris acculée au pied du mur. Continue, c’est divertissant. 


-On n'a pas le temps pour ça, lui rétorqua l’autre sur un ton autoritaire et impatient. 


-Je dois savoir pourquoi elle n’a pas d’odeur, laisse-moi deux minutes…


-Ovline !


-Bien, comme tu veux !


Tout à coup, le silence se fit. L’air se chargea d’électricité et le vent tomba. Il n’y avait plus aucun bruissement et cette absence de bruit me perturba tellement que je m’arrêtai net de courir. Je regardai en arrière de moi et vis un couple qui marchait main dans la main. Arrivés à ma hauteur, ils me dévisagèrent. 


-Est-ce que tout va bien, mademoiselle ? On vous appelait depuis tantôt, mais vous ne sembliez pas nous entendre ! 


-Je… 


Stupéfaite, je ne cessais de regarder à gauche et à droite, mais il n’y avait personne d’autre. 


-Est-ce que vous étiez poursuivie ? Nous, on n'a rien vu. Pourtant, on marche depuis quelques minutes derrière vous. J’espère qu’on ne vous a pas fait peur ?


Tremblante et frissonnante, je reculai en titubant légèrement. La femme avança la main pour me toucher, mais je m’écartai d’un bon. 


-Ne me touchez pas ! m’écriai-je effrayée. 


-C’est bon, ne vous énervez pas ! Regardez, on voulait juste vous aider, mais vous n’avez pas l’air clean, alors on vous laisse ! 


Ils me jetèrent un dernier coup d’oeil bizarre et reprirent leur marche en chuchotant. J’avais beau tourner sur moi-même pour essayer de retrouver les deux hommes, ils n’étaient plus là. Mais c’était impossible, n’est-ce pas ? Ils ne s’étaient quand même pas volatilisés, mais alors, où étaient-ils ? Serrant mes bras autour de ma taille, je repris le chemin du café en lançant sans arrêt un regard derrière moi. Il était dix huit heures pile quand j’arrivai. Alexis n’était nulle part. Je m’assieds, les jambes repliées sous moi-même, sur un petit fauteuil en cuir brun pour l’attendre. Dix minutes s’écoulèrent, puis trente, puis cinquante. C’était étrange, il n’était pourtant jamais en retard. Je pris mon téléphone, mais je n’avais aucun message pour m’informer d’un délai. Quelque chose, à ce moment là, se brisa en moi. J’étais épuisée et brisée. Je ne comprenais pas tout ce qui arrivait depuis quelque temps, mais je n’avais certainement pas mérité qu’on me traite ainsi. Je me levai d’un bond, sortis en trombe du café et m’élançai vers le campus. Une fois arrivée devant la chambre d’Alexis, je tambourinai à la porte, furieuse. 


-Ça va, ça va, j’arrive, pas besoin de défoncer la porte !


Il m’ouvrit et ses yeux s’agrandirent de surprise. 


-Cassandre !


-La prochaine fois que tu voudras me faire passer un message, fait preuve d'un peu plus de maturité, d’accord ?


Je fis volte-face, mais il me rattrapa par le poignet. 


-Attends un peu, je ne comprends rien à ce que tu dis. 


-Je t’ai attendu près d’une heure au café. Tu n’étais pas obligé de me faire poireauter pour me faire comprendre que tu étais en colère contre moi. Je ne te pensais vraiment pas comme ça !


-M’attendre au café ? mais qu’est-ce que tu me racontes là ? s’étonna-t-il de façon très convaincante. 


Rageuse, je sortis mon téléphone et lui présentai son message. 


-Ce n’est pas moi qui t’ai écrit ça, Cassie, dit-il, plus calme. 


-C’est signé de ton nom. Tu dis que tu as perdu ton téléphone…


-Je ne l’ai pas perdu. Attends, je vais te montrer. 


Il s’éloigna et je tapai du pied sur le plancher de bois du couloir. 


-Ne bouge pas, dit-il, je te montre. 


Il attrapa son cellulaire et le déposa dans ma main. C’était bien le sien avec la fissure sur l’écran et l’autocollant de licorne qu’il m’avait laissé coller il y a deux ans. En fait, c’était à cause de celui-ci, qu’il ne changeait pas de modèle. Il ne cessait de dire que tant qu’il fonctionnait, il n’avait pas besoin d’un nouveau. Je baissai la tête, vaincue par la fatigue et l’incompréhension. 


-Je suis désolée, chuchotai-je. 


-Jamais je ne t’aurais fait un coup pareil, Cassie. Même si j’étais fâché contre toi et ce n’est pas le cas. 


-Mais hier…


-J’ai peur pour toi, Cassie. J’ai peur que quelque chose t’arrive, que tu…


-Que je me fasse quelque chose ? complétai-je à sa place. 


Il me prit le menton et noua ses prunelles albâtres aux miennes. 


-Qu’est-ce qui se passe avec ta médication ? Dis-moi, Cassandre. 


Sa voix était douce et je ne décelai aucune accusation. 


-Je ne sais pas, répondis-je avec sincérité. J’étais certaine de les prendre tous les jours, mais j’ai trouvé le flacon à moitié plein. Je me souviens parfaitement de les avoir prises pourtant… Alexis, j’ai l’impression de devenir folle, que tout recommence. J’ai peur, j’ai si peur. 


Il me prit dans ses bras et me serra fort et je sanglotai sans retenu. Il murmura quelque chose que je ne compris pas. 


-Qu’as-tu dit ? demandai-je en reniflant. 


-Rien, allez, viens, tu as besoin de te reposer un peu. 


Ce fut à ce moment que je réalisai qu’il ne portait pas de chandail. Il était simplement vêtu d’un pantalon de jogging gris. Sans être musclé à outrance, il avait un beau torse imberbe. Intimidée, je regardai ailleurs. Il eut un sourire en coin en voyant ma réaction. Il me borda dans son lit et caressa ma chevelure. 


-Je te promets que je vais t’aider, Cassie. Tu n’es pas seule. On va comprendre ce qu’il t’arrive et tu iras mieux, tu verras. 


Mes yeux se fermèrent et je me laissai bercer par sa voix enveloppante. Ici, dans sa chambre, au chaud, je me sentais en sécurité et un regain d’espoir déferla en moi. Tout allait s’arranger. 


***


-Pourquoi il faut toujours que tu lui tourne autour ? Tu vas finir par nous attirer des problèmes, s’impatienta Saël. 


-Cette humaine m’intrigue, je ressens une immense fragilité en elle. Une déchirure…


-On n'a pas le temps de se pencher sur la question, tu le sais bien, on a quelqu’un à retrouver…


-Justement, j’ai lu un nom dans son esprit. C’est étrange car elle ne connaît pas cette personne.


-Ça n’a peut-être rien à voir. 


-Au contraire, ça a peut-être tout à voir. Je te dis que cette fille sait quelque chose. 


-Elle avait juste l’air effrayée selon moi...


Ovline roula des yeux, agacé. 


-On n'a rien d’autre que ce nom, autant s’y pencher, tu ne crois pas ?


Saël haussa les épaules, indifférent. Il trouvait l’humaine insignifiante. 


-Si tu y tiens tant que ça. C’était quoi ce nom ?


-Morgane !



















Chapitre 8


-Arrête de te présenter à l'improviste, je ne t'ai pas invitée.


-...


J'entendais chuchoter, mais je ne distinguais pas les mots. J'avais l'impression de nager dans un brouillard épais. Les sons étaient étouffés et lointains. Je tentai d'ouvrir les yeux, mais je ne distinguai qu'Alexis, au loin.. 


-Est-ce… va ?


Ma vision trouble se flouta davantage et un bourdonnement sourd enfla dans mes oreilles. Je tentai de crier, mais je sentis une pression sur ma poitrine, comme si on tentait de m'étouffer. Je voulus me débattre, mais je n'arrivais plus à bouger. 


-Ale...


-Cesse de te battre, c'est inutile. Dors maintenant.


Je tentai, en vain, une dernière fois de reprendre conscience, mais une lourdeur s'empara de mes membres, de ma conscience et je sombrai à nouveau dans le sommeil.


***


L’air se cristallisa en fines particules et il l’huma, comme un chien sa proie. 


-Enfin ! s’exclama-t-il sur un ton conquérant !


-Où ça ? questionna simplement Saël. 


-Ici, tout près. Je la sens, elle irradie, elle embaume. Nous la tenons !


Il serra la seringue dans sa poche pour s’assurer qu’elle était toujours là, puis, il s’élança, suivi de son ami. Une aura obscure, presque argentée se dégageait de son corps. L’excitation était à son comble. C’était la première fois qu’il repérait son odeur depuis qu’il avait l’arme fatale avec lui. Une fois devant les dortoirs, il s’arrêta pour pister son essence. C’était plus fort ici. Elle était si près, qu’il pouvait presque distinguer sa silhouette thermique. 


-Tu la sens, n’est-ce pas ? 


Saël hocha la tête. Il ne pouvait nier que son effluve était grisante et puissante. Il comprenait qu'Ovline en soit accro. Ça faisait vibrer quelque chose de sauvage et de presque humain en lui. Un sentiment d’exister et d’être entier. C’était vraiment étrange, surtout que c’était la première fois, qu’il pouvait sentir. En règle général, seul Ovline avait ce don et lui, la force de persuasion. Mais ce soir, il avait le privilège de comprendre son ami et il avait du mal à contrôler son excitation. Il voulait la toucher, la posséder, s’enivrer d’elle et son essence jusqu’à l'apothéose. Il avança, guider que par la chasse, mais Ovline le retint par le bras. 


-Nous devons être prudents, mon ami. Je n’ai jamais senti une telle puissance. Elle irradie, nous ne voudrions pas nous précipiter. 


Saël grogna de dépit. Ovline ricana de l’attitude de son compagnon. C’était la première fois que celui-ci comprenait exactement ce qu’il éprouvait. Il lui fit signe, en silence, de le suivre. Ils marchèrent jusqu’à la porte et l’ouvrirent lentement. Ovline ignorait l’étendue des pouvoirs de l’ange et il avait peur qu’elle détecte leur présence. Il la camouflait du mieux qu’il le pouvait, mais elle pouvait toujours les sentir venir. C’était un risque à prendre, mais il ne pouvait plus attendre. Plus ils avançaient dans le couloir, plus l’air était dense. Elle était là, tout près, il pouvait discerner l’éclat de son aura. Elle parlait avec quelqu’un et se dirigeait droit vers eux. Ils dissimulèrent leur présence en se fondant avec le mur et elle passa à côté d’eux, sans les apercevoir. Son parfum parvint aux narines d’Ovline qui saliva d’expectation. Son poil se dressa sur ses bras. Enfin, elle était là, presque à sa mercie. Tous les deux sortirent de l’ombre et se mirent à la suivre, cette fois-ci en faisant en sorte qu’elle détecte leur présence. Elle s’arrêta soudain et il en fit de même. 


-Je te rappelle, j’ai des amis qui sont ici, informa-t-elle son interlocuteur au téléphone avant de raccrocher. 


Elle prit le temps de ranger l'appareil dans sa poche, puis une lumière bleutée s’éleva de sa main droite. 


-Les petits chiens ont enfin trouvé leur os ?


Elle se retourna et il fut stupéfait de la découvrir sous son vrai jour. 


-Mais quel est ce subterfuge ? s’écria Ovline. 


Un sourire ricaneur déforma les traits de l’ange.  


-Vous ne saviez donc pas ? J’avais pourtant cru que c’était là, la raison de toute cette mascarade. 


-Je ne comprends pas, comment est-ce possible ?


Ovline la dévisageait, subjugué. Elle avança vers lui, ne le quittant pas des yeux. Elle dégageait tellement d’assurance et de mépris, qu’il ne pouvait plus bouger. Il était hypnotisé par l’aura qui l’enveloppait et par ses yeux gris glacier, gris éternité. Jamais il n’avait vu cela auparavant, jamais il n’avait entendu que c’était imaginable. Toutes ses forces le quittèrent et une lame de feu lui brûla la poitrine. 


-Attention !


Il sentit qu’on le poussait et il tomba lourdement sur le sol. Il retrouva ses esprits et constata que sa chemise avait été brûlée ainsi que son torse. Une longue cicatrice lui barrait la poitrine et ça le lançait. Il tourna la tête vers la droite et constata que Saël était étendu au sol, l’épaule et le bras droit en sang. Il se releva d’un bond, toutes dents sorties. Elle lui sourit, sournoise. 


-Vous êtes ensemble ? Dieu permet une telle chose ?


Son ton était dédaigneux. Il serra les poings et une énergie noire bariolée d’argenté s’en échappa. Personne ne se moquait de lui, personne ne touchait à Saël. 


-Tu crois que tu me fais peur ? ricana-t-elle. 


Il lança sa magie vers elle, mais il la rata. Elle éclata de rire. 


-C’est ça, les chiens que Dieu a envoyés pour me tuer ? Je suis déçue, je m’attendais à mieux…


Il la vit agrandir les yeux d’étonnement lorsque Saël, la poignarda. Elle tomba, un genou à terre, sa longue chevelure basculant devant son visage. Il s’avança et s’agenouilla à sa hauteur. Il lui prit le menton pour qu’elle le regarde dans les yeux. 


-Tu sais quel est ton problème ? Tu fais trop la fière. Tu nous prends pour des amateurs ou quoi, ma belle ? 


Elle lui cracha au visage et il la gifla sans réfléchir. Du sang coula de sa lèvre fendue et elle se débattit comme une furie, mais Saël la tenait fermement. 


-Arrête de te débattre, tu vas aggraver ta blessure dans le dos. Je n’ai pas envie que tu meurs tout suite !


Tout à coup, elle cessa de bouger, puis il vit l'impensable se produire sous ses yeux. Saël, surprit, la relâcha. Elle se releva d’un bond, profitant de leur stupéfaction et s’enfuit. 


-Mais qu’est-ce que tu es ? lui cria-t-il, obnubilé par sa chevelure bicolore. 


Sans lui répondre, elle leur fit un salut et disparut à l’extérieur de la résidence. Ovline la laissa partir, trop hébété pour se lancer à sa poursuite. De toute façon, il savait maintenant qui elle était, il pourrait la retrouver avec facilité. Saël s’avança vers lui et délicatement, il posa ses doigts sur la longue blessure de son torse. 


-Elle ne t’a pas raté ! 


-Ça va guérir. Regarde, ton épaule cicatrise déjà. 


Saël acquiesça. Il était épuisé puisque depuis le début, il maintenait un champ invisible autour d’eux pour ne pas alerter les humains du dortoir. Il tangua dangereusement et Ovline le rattrapa. 


-Viens, allons nous reposer. 


Maintenant qu’il savait qui était son adversaire, il se préparerait en conséquence et la prochaine fois qu’ils se rencontreraient, il se ferait un plaisir de lui faire perdre sa superbe et de la briser. Dieu avait raison de vouloir la détruire, elle était dangereuse, plus qu’IL ne pouvait l’imaginer. 


***


Je la vis accourir vers moi, le regard affolé. Elle fouilla les environs, mais je secouai la tête. 


-Ils ne m’ont pas suivie. 


-Qui étaient-ils ?


-Des anges déchus envoyés par Dieu pour me tuer. 


-Mais pourquoi ? s’écria-t-elle, choquée.

 

-Parce que je leur fais peur, ricanai-je. 


Au même moment, une douleur fulgurante traversa mon dos et je dus prendre appui sur l’arbre pour ne pas tomber. 


-Morgane ! s’écria Mégane, inquiète, en constatant que je saignais. Ils t’ont blessée !


Je reniflai, méprisante, et frappai du poing l’écorce de l’arbre qui m’éraffla sur toute la longueur. Je serrai les dents pour ne pas crier. 


-Tu dois m’aider, marmonai-je, je n’ai presque plus de force…


Elle s’approcha de moi et je m’appuyai sur elle pour m’asseoir sur le banc du parc. 


-Comment va-t-on exp…


-C’est tout ce qui te préoccupe, n’est-ce pas ? la coupai-je vivement. 


Je me relevai en la poussant sans ménagement. 


-Je ne sais pas pourquoi je t’ai appelée, tu n’es bonne qu’à pleurnicher. Va-t-en !


-Mais..


-Allez, dégage, j’en ai assez de toi et ton humanité. Tu ne peux pas nous sauver… Ne le comprends-tu pas ?


Je sentais que je ne tiendrais plus longtemps, déjà, ma vision s'obscurcissait et j’avais des vertiges. Je devais rentrer à la maison, me mettre à l’abri. J’étais certaine que les deux chiens ne viendraient pas à ma recherche ce soir, mais je ne voulais prendre aucun risque. 


-Tu as besoin de moi ! Affirma-t-elle d’un ton sans réplique. 


-Que veux-tu ? demandai-je lentement, même si je connaissais d'avance la réponse.

 

-Tu le sais. 


-Oui, je le sais, mais j’aimerais que tu me le dises, sinon, je m’en vais et toi et moi savons que je ne serai pas la perdante.


Je ne comprenais pas pourquoi à chaque fois, elle persistait à résister et répéter le même scénario, alors qu’elle le sollicitait comme un vulgaire chien. 


-J’en ai assez de toi, Mégane. Tu es pathétique et je suis fatiguée, dis-je avec lassitude. 


-Je suis la seule qui puisse t’aider, lâcha-t-elle finalement. 


Je ricanai et me retournai vers elle. 


-Toi ? non, je ne crois pas. Tu ne sais pas comment les utiliser. Tu n’es pas assez forte. 

-C’est ce que je t’ai dit, mais c’était un mensonge, je ne voulais pas…


Elle ne termina pas sa phrase, perdue dans les méandres de ses souvenirs. Je m’avançai vers elle en titubant. Le froid environnant de cette fin d’octobre me transperçait la peau et je commençais à avoir de la fièvre. Est-ce qu’ils avaient empoisonné le couteau ?  


-Arrête de débiter des sottises, dis-je une fois près d’elle. Tu n’es qu’une bonne à rien, tu n’as plus aucun pouvoir sinon, tu l’aurais sauvée !


Des larmes brillèrent dans ses prunelles et glissèrent sur ses joues. Je n’avais plus le temps pour ses enfantillages. Je me retournai, mais elle me prit le bras. 


-Attends !

-Laisse-moi ! criai-je sans ménagement. 


-Donne-moi en et je vais t’aider. 


-Arrête, Mégane, tu t'entends ? tu fabules, tu n’as plus de pouvoir. 


-Si ! 


-Pourquoi ne l’as-tu pas sauvée alors ? pourquoi n’as-tu pas sauvé ta soeur ? lui hurlai-je. 


-Parce qu’elle était déjà morte. Ce jour-là, le jour de l’accident, quand je me suis réveillée, il était déjà trop tard…


Elle éclata en sanglots, mais elle maintenait sa poigne sur mon bras. De son autre main, elle fit apparaître une douce lumière jaune et chaude. Elle scintillait d’une force pure. Malgré moi, je fus impressionnée. Elle plaça sa main sur ma blessure et je sentis le bienfait se répandre à travers mon corps. Le tissu fragile se répara et immédiatement, je me sentis beaucoup mieux. C’était donc vrai, elle avait conservé ses pouvoirs guérisseurs. Pourtant, elle ne les utilisait jamais, préférant se détruire à petit feu. Elle me relâcha et j’époussetai mes vêtements. 


-Je suis impressionnée. Dire que pendant tout ce temps, tu me cachais ce petit secret ! 


-Ils ne me servent à rien, répliqua-t-elle, je n’ai même pas pu la sauver alors qu’elle était la meilleure de nous deux. 


-Ça… dis-je d’un ton éloquent. 


Elle serra les dents et se raidit sous l’insulte cachée. Épuisée, je n’avais plus envie de discuter avec elle. J’avais déployé tellement de force et d’énergie queje devais aller me reposer. J’avais besoin de me reconstruire, car la prochaine fois que je croiserais la route des deux autres, ils allaient mourir. Je sortis de ma poche ce qu’elle convoitait avec tant de désespoir et lui tendit. 


-Tu sais, Mégane, tu peux te perdre dans l’illusion de la drogue, mais ça ne changera jamais rien à ta situation. Tu as été manipulée, tout comme moi. Ce n’est pas pour ça, qu’on avait signé. 

-Qu’est-ce que tu crois ? Que je cherche à oublier ? Cette fois-ci, c’est toi, qui n’as rien compris…


J’écarquillai les yeux et saisit enfin la vérité. Mais bien sûr, pourquoi n’avais-je pas réalisé avant ce qu’elle tentait de faire ? C’était d’une évidence pathétique. Elle n’avait pas le droit d’attenter à sa vie, mais elle pouvait espérer la détruire et ainsi, libérer son âme. Aurait-elle droit à la rédemption, sa précieuse rédemption qu’elle souhaitait ardemment ? Je ne pus m’empêcher de me moquer d’elle. 


-Ce n’était pas volontaire, je ne désirais pas sa mort ! se défendit-elle avec ferveur. 


-Qu’est-ce que ça change ? c’est le même résultat. Tu étais défoncée quand l’accident s’est produit. Elle n’a eu aucune chance. Tout le côté passager à été embouti, fauchant sur le coup sa précieuse vie. 


Elle contracta la mâchoire, luttant pour ne pas céder aux larmes à nouveau. 


-Tu n’as aucune chance, Mégane, les meurtriers n’ont pas le droit au salut. Tu devrais le savoir, non ?


***

Chapitre 9


Je terminais d’essorer mes cheveux avec une serviette, quand deux filles pénétrèrent dans les douches. Elles cessèrent de parler en m’apercevant et me lancèrent des coups d’oeil en coin. L’une chuchota quelque chose à son amie, qui éclata de rire. Elles disparurent derrière le mur, mais je les entendais encore murmurer. Leur attitude me laissa perplexe. En général, les autres filles m’ignoraient ou ne faisaient tout simplement pas attention à moi. De nature réservée, j’avais beaucoup de difficulté à lier des liens amicaux, mais ça ne m’affectait pas plus que ça. J’avais Alexis et Mégane et c’était l’essentiel pour moi. En pensant à lui, je me remémorai la fin de soirée chez lui. Après avoir dormi un peu plus de deux heures, je m’étais réveillée en forme et repentante de m’être emportée contre Alexis, sans avoir de preuves. Nous avions fait la paix en commandant des Tacos au restaurant du coin et en regardant un film romantique. Apaisée, je m’étais laissé aller à déposer ma tête sur son épaule et d’un geste inconscient, il avait passé une partie du film à caresser ma chevelure. J’étais finalement rentrée à ma chambre juste avant minuit et j’avais dormi une de mes meilleures nuits depuis très longtemps. 


Encore sur ce petit nuage de béatitude, j’oubliai très vite l’attitude étrange des deux adolescentes. Je mettais un point final à mon maquillage, quand Mégane rentra à son tour.


-Cassie ! s’exclama-t-elle enjouée. Je suis heureuse de tomber sur toi, je te cherchais. 


Je la dévisageai, perplexe. C’était trop d’enthousiasme pour un lundi matin. 


-Tiens, dit-elle en me tendant une tasse fumante du petit kiosque à café que j’affectionnais, je me suis dit que ça ne nous ferait pas de tort pour le premier cours de ce début de semaine. 


-Merci ! dis-je en récupérant la tasse. 


Je mis la dernière touche à ma coiffure et satisfaite, je repris toutes mes choses pour aller récupérer mon sac d’école dans ma chambre. Au même moment, les deux jeunes filles revinrent de leur douche, enroulées dans des serviettes blanches. 


-Bonjour Mégane, on se voit plus tard dans le cours d’anglais ? demanda la plus grande des deux, m’ignorant complètement.  


-Certainement ! À plus, les filles. 


Mon amie m’attrapa la main et m’escorta en dehors du vestiaire. Une fois dans ma chambre, elle s’allongea sur mon lit pendant que je ramassais mes manuels. 


-Alooooooors ? tu as l’intention de me parler de ton samedi soir aujourd’hui ou dans dix ans ? 


Je ne pus m’empêcher de sourire en entendant l’excitation à peine camouflée dans sa voix. 


-On n'a pas le temps, là, Mégane, on doit filer en cours !


Elle se releva et me jeta un regard dramatique. Elle attrapa son café et enfila son énorme foulard vert et rouge. Je fis de même. Sur mon téléphone, la météo annonçait une journée grise et froide. Une vraie journée d’automne qui donnait envie de se blottir dans son lit et regarder Netflix toute la journée. Malheureusement, j’avais un examen important ce matin et je ne pouvais pas le manquer. Je pris mon café à mon tour et nous sortîmes dans la fraîcheur de ce lundi matin. Nous traversâmes le campus d’un pas rapide pour nous mettre à l’abri du vent à l’intérieur. Je secouai mon foulard pour enlever les feuilles prises dans les mailles du tissu quand je remarquai une ambiance étrange régnant dans les couloirs. J’entendis plein de chuchotements et en regardant autour de moi, je vis plusieurs personnes penchées sur des feuilles. Quand certains s’aperçurent de ma présence, ils me pointèrent du doigt en ricanant. Mal à l’aise, je me dirigeai vers le mur où je vis l’un des papiers qu’ils tenaient, accroché. 


-Non !


Mégane m’attrapa la main et me tira vers l’arrière. 


-Mais qu’est-ce qui te prend ? m’emportai-je, surprise par son geste. 


-Ne le lis pas, ce n’est rien. 


-Ce n’est pas rien, regarde-les tous, ils me dévisagent. Même ce matin, dans les douches, les deux filles qui étaient là, avaient la même attitude. Qu’est-ce qui se passe ?


Ne me répondant pas, elle voulut me forcer à la suivre jusqu’à la classe, tout près, mais je me dégageai de son emprise. 


-Qu’est-ce qui te prend, à la fin ? m’énervai-je. 


Les murmures et les moqueries s'amplifiaient plus l’heure des cours approchaient. 


-C’est ridicule, qu’est-ce qu’ils ont tous ?


Je me dirigeai vers le mur et arrachai le papier qui y était collé. Mégane y posa la main. Ses yeux brillaient de larmes contenues. 


-Ne le lis pas, s’il te plaît, Cassie, ne lis pas…


-Tu me fais peur, Mégane. Qu’est-ce qui se passe ?


-Ça n’a pas d’importance, allez, viens, s’il te plaît…


Mon coeur se mit à battre la chamade et je sentis une tension parcourir mes épaules. J’étais maintenant certaine que ça me concernait. Tout le monde me jetait des regards en coin, certains en rigolant, d’autres avec la bouche entrouverte de surprise. Il fallait que je sache, c’était insoutenable. Je reculai pour m’éloigner de Mégane et lus ce qu’il y avait d’inscrit sur le papier. Un bourdonnement sourd martela mes tympans et tout à coup, je fus seule au milieu du couloir. J’eus un haut le coeur et je sentis un frisson d’horreur me parcourir la colonne. Comment était-ce possible ? Comment les feuilles de mon journal étaient-elles arrivées là, sur les murs de l’école ? Mon intimité avait été violée, bafouillée. Qui pouvait être aussi méchant ? Le brouhaha environnant revint peu à peu et je pus distinguer à nouveau les couleurs. Mégane, la tête basse, sanglotait sans bruit. Seules ses épaules se relevaient sporadiquement. Sa longue chevelure acajou lui cachait le visage, mais je voyais les larmes s’écraser sur le plancher du couloir. Prise d’une soudaine frénésie, je me précipitai vers les élèves et leur arrachai les feuilles. Je fis de même pour celles que je voyais sur les murs et les casiers. Il y en avait des centaine de copies. 


-Arrêtez de lire, criai-je, des larmes dans la voix. Ça ne vous regarde pas !


Je partis dans la direction opposée pour poursuivre ce funeste travail. 


-Qu’est-ce qui se passe ici ? qu’est-ce que c’est que toute cette agitation ? s’impatienta un professeur que je ne reconnus pas. 


Je l’ignorai et continuai à arracher désespérément les feuilles de tous les endroits où je les voyais. 


-Mademoiselle, ça suffit, calmez-vous ! m’interpella le même professeur. 


Je ne fis pas attention à son avertissement et je me dirigeai vers un petit groupe qui ne cessait de rire en faisant des bruits ignobles de baisers. Je les bousculai sans ménagement et leur retirai toutes les feuilles qu’ils avaient en leur possession. 


-Vous vous trouvez drôle, peut-être ? demandai-je abruptement. 


Ils éclatèrent tous de rire. 


-Est-ce que tu t’imagines avec lui quand…


-Ça suffit ! tout le monde rentre en classe immédiatement sinon je vous colle une retenue. Vous avez trente secondes pour vous exécuter et que ça saute. 


Il tapa dans ses mains et une cohue monstre s’éleva pendant que tout le monde retournait à ses cours. Je restai plantée où j’étais, pétrifiée quand je vis Alexis, ramasser une des feuilles qui virevoltait dans les airs. J’essayai de bouger, crier, supplier, mais mon corps ne m’obéissait plus. Je le vis parcourir les lignes manuscrites et son visage changea quand il comprit la signification de ce qu’il lisait. Il leva la tête et m’aperçut. Il fit un geste dans ma direction, mais je reculai, honteuse. Des larmes froides glissèrent sur mes joues, emportant mon mascara dans leur descente infernale. 


-Cassandre, veuillez me suivre au bureau du directeur, on va régler cette situation. 


Le professeur s’était approché de moi, sans que je m’en rende compte. 


-Et vous, jeune homme, filez tout de suite en cours, il n’y a rien à voir. 


-Cassie, il faut que je te parle, ce soir, d’accord ? 


Est-ce que son ton était fâché ? est-ce qu’il m’en voulait ? me détestait ?


-Je…


Ma voix mourut et je ne pus continuer. Soudain, un rire railleur s’éleva dans le silence environnant. Je me retournai comme une flèche pour voir d’où il provenait, mais il n’y avait plus personne. 


-Qui a ri ? questionnai-je, furieuse. 


Alexis me dévisagea et je ne pus déchiffrer son expression. Mon coeur se serra, puis, tout à coup, un éclair de lucidité traversa mon esprit. Je me précipitai vers Mégane, qui n’avait toujours pas bougé et la secouai comme un pommier, sans ménagement. 


-C’est toi, c’est toi qui as fait ça ? 


Pour toute réponse, elle sanglota de plus belle, ce qui exacerba ma colère. 


-Pourquoi ? hurlai-je. 


-Ce n’est pas ce que tu crois, je n’avais pas le choix…


Je la plaquai au mur, elle trébucha sur une feuille et tomba sur les fesses. Frénétiquement, je la relevai par les cheveux et elle cria de douleur. Je voulus la gifler, mais l’enseignant nous sépara et je grognai de dépit. 


-Cassandre, ça suffit, calmez-vous ! Mégane, allez à l’infirmerie et je veux que vous me retrouviez chez le directeur ensuite. 


Elle ramassa ses affaires et s'éloigna, la tête basse. 


-Je te croyais mon amie, criai-je, mais elle ne se retourna pas. 


-Vous, dit-il en m’escortant dans le corridor, vous m’accompagnez immédiatement chez le directeur. Le règlement est clair, nous ne tolérons aucune forme de violence. 


Je me tus, incapable de formuler une pensée cohérente. Je me sentais trahie et lasse. Toute cette agitation m’avait vidée de mes forces. Je n’avais qu’une envie : m’ensevelir sous les couvertures et ne plus jamais en émerger. Le professeur m’annonça au directeur et on me fit patienter dans la minuscule salle d’attente. Trente minutes plus tard, je sortais de là, avec une retenue et un sérieux avertissement. Ma punition avait été assouplie pour la seule et unique raison que j’avais été victime d’intimidation, mais on m’avait bien fait comprendre que si cela se reproduisait, que si j’agressais qui que ce soit pour une raison ou une autre, je serais renvoyée. J’avais manqué mon examen, mais on m’avait confirmée que je pourrais le passer demain, sur les heures de mon cours d’éducation physique. Je demandai à être exemptée du reste de ma journée et on me l’accorda. Je sortis dans cette fin de matinée grisâtre et décidai d’aller marcher un peu près de la forêt derrière le campus. Être en contact avec la nature m’aidait toujours à m’apaiser. En sortant du bureau du directeur, j’avais aperçu Mégane. Elle avait tenté de me parler, mais je lui avais tourné le dos. J’ignorais ce qui l’avait poussée à me trahir de la sorte. Ça me faisait mal physiquement chaque fois que j’y songeais. Comme si on transperçait mon coeur à coup de couteau. Après ce qu’elle avait fait, son sort m’importait peu, elle pouvait être renvoyée et c’est tout ce qu’elle méritait. Jamais je ne pourrais lui pardonner une telle humiliation. Les larmes montèrent à nouveau à mes yeux, mais je les balayai d’un geste rageur. Le vent se leva, mugissant au travers des branches nues. Les feuilles craquaient sous mes pas et je sentais le givre dans l’air ambiant. La neige n’allait pas tarder à blanchir le sol boueux. J’inspirai profondément et les parfums de la nature agonisante emplirent mes narines. J’aimais cette saison et ce qu’elle dégageait. Je me sentis plus apaisée, moins en colère. Par contre, dès que je songeais à Alexis, j’avais un sentiment de confusion qui m’envahissait. Je n’avais pas su déchiffrer son expression et j’ignorais toujours s’il était furieux ou pire, s’il me trouvait pathétique. Je tremblais de peur à l’idée qu’il ne veuille plus jamais m’adresser la parole. Il m’avait demandé de le retrouver ce soir, mais était-ce vraiment une bonne idée ? Je fermai les yeux pour essayer de calmer mon angoisse grandissante. Une bourrasque de vent se leva et l’air se chargea d’un arôme étrange. Cela ressemblait à… la mort. J’ouvris les yeux d’un coup sec et découvrit juste en face de moi, les deux hommes que j’avais déjà repérés sur le campus auparavant et aussi, qui m’avait poursuivie samedi soir. Le plus grand, celui avec la longue chevelure cendrée et les yeux d’un bleu perçant, me sourit. Un sourire qui me fit froid dans le dos. Un frisson d’affolement dressa les poils de mes bras. 


-Bonjour Cassandre !







Chapitre 10


Je jetai des regards affolés autour de moi, mais comme une idiote, je m’étais isolée du campus et de la vie humaine. Peut-être pourrait-on m’entendre crier, mais j’avais la triste impression qu’il serait trop tard. Maintenant que je les voyais de près, leur apparence me mettait mal à l’aise. Leurs traits étaient bien dessinés, presque parfaits, et c’était perturbant, car ça donnait l’impression qu’ils étaient faux ou plus justement, qu’ils étaient le reflet d’une image. 


-Que me voulez-vous ? demandai-je le plus calmement possible, pour ne pas les exciter davantage. 

 

-Pour l’instant ? Seulement m’amuser un peu, répondit le grand blond. 


Je reculai instinctivement, prête à m’enfuir, mais il se déplaça si vite que je sursautai et perdis l’équilibre avant de m’écraser dans les feuilles humides. Le ciel s'obscurcissait dangereusement et une tension électrique se fit sentir. Tous mes sens étaient en alerte et le mot danger ne cessait de clignoter dans ma tête. 


-Ovline ! l’interpella son ami, celui à la chevelure d’un brun acajou très doux. 


-Deux minutes, Saël, répliqua le blond. 


Il s’agenouilla près de moi et renifla ma chevelure. J’étais pétrifiée de terreur, incapable de bouger, respirant à peine. 


-C’est prodigieux, murmura-t-il. 


Il prit mon menton entre ses doigts glaciaux et me fixa de ses yeux bleus hypnotisants. Je crus y déceler, au fond, des étoiles et des galaxies. Les battements de mon coeur se calmèrent doucement et je sentis une torpeur enivrante m’envahir. Il ébaucha un sourire qui illumina ses prunelles, lui donnant l’air angélique. Une puissante lumière semblait irradier de lui, une lumière chaude et enveloppante. Lentement, il caressa ma joue et descendit jusqu’à ma clavicule. Une sonnette d’alarme retentit dans mes oreilles, un peu comme un hurlement et le charme fut brisé. Cependant, je ne pouvais pas bouger, j’étais sous son emprise. Mon pouls s’affola à nouveau quand il descendit jusqu’à mon sein. Je voulus crier, mais aucun son ne sortit de ma bouche. J’étais complètement sous son influence et il faisait ce qu’il voulait. Il huma à nouveau ma peau et se pourlécha les lèvres, gourmand. 


-Je t’entends crier, dit-il rieur, mais que peux-tu faire contre moi ? J’aimerais bien le voir...


Il me fixait toujours et de sa main libre, il empoigna l’un de mes seins sous ma chemise. Le hurlement dans ma tête s’intensifia et brisa d’un coup, l’enchantement qui me maintenait prisonnière. Réalisant que je pouvais bouger à nouveau, je lui envoyai un coup de pied dans le ventre et me relevai d’un bond. 


-Garce ! s’emporta Ovline, en grognant de douleur et il me gifla si fort, que je tombai à la renverse, des étoiles dansant devant mes yeux. Un brouillard s’éleva dans ma tête et je me sentis perdre pied. 


-Laissez-la tranquille ! 


Je me retournai et aperçus Mégane qui se dirigeait vers moi, les poings serrés et le regard dur. Jamais je ne l’avais vue ainsi, aussi déterminée, aussi forte, surtout après ce qui était arrivé ce matin. Elle me dépassa et se planta devant Ovline, droite et fière. 


-Mégane, fais attention, ils sont… anormaux, dis-je inquiète.

 

-Sauve-toi, Cassie ! dit-elle sans me regarder. 


-Je ne te laisse pas ici avec eux, c’est trop dangereux. 


-Je ne te demande pas ton avis ! répliqua-t-elle froidement. 


Son ton me surprit et me choqua. Jamais elle n’avait été aussi distante avec moi. Qu’est-ce qui se passait, ici, à la fin ? Qui étaient ces deux hommes et pourquoi Mégane ne semblait pas avoir peur d’eux ? Comme si elle les connaissait... 


-Tu devrais écouter ton amie, Cassandre, sinon, j’ai bien l’intention de continuer notre petit jeu... 


-Ne t'adresse pas à elle, lui lança Mégane. 


-Tu crois que toi, tu me fais peur ? 


-Tu veux que je l’appelle peut-être ? tu as envie qu’elle rapplique ici, remontée et enragée pour ce que tu lui as fait subir ? 

-Ovline !


C’était son ami, Saël, qui venait de l’interpeler. Il n’intervenait que rarement, mais il semblait être le plus raisonnable des deux. 


-Ce n’est pas le moment, Ovline. Nous reviendrons. 


Le grand blond serra la mâchoire, puis cracha au visage de Mégane. Il éclata de rire et la regarda de haut en bas, méprisant. 


-Tu n’es pas à la hauteur et elle non plus. Je vais l’envoyer en enfer avec plaisir ! Dis-lui bien ça, à ton amie


En prononçant ce dernier mot, c’est moi qu’il regarda. Je frissonnai sous la menace et sous l'assaut du vent qui forcissait de plus en plus. Ovline sembla vouloir faire quelque chose, mais Saël, hocha négativement de la tête pour lui signifier de laisser tomber. 


-On se revoit bientôt, mesdemoiselles ! 


Tous deux disparurent comme par enchantement. La lourdeur dans ma tête s’estompa et Mégane me tendit la main. 


-Est-ce que tu vas bien ?


Sa voix était douce, basse, presque inaudible. Elle caressa mon visage de sa main chaude. 


-Qui étaient-ils ? Tu semblais les connaître. 


-De quoi parles-tu ? questionna-t-elle les sourcils froncés. 


-Les deux hommes, répétai-je, tu savais qui ils étaient ?


-Quels deux hommes ? Il n’y a que toi et moi, ici…


Je la dévisageai, estomaquée. À quoi jouait-elle ?


-Pourquoi me mens-tu ? Ils étaient là il y a à peine dix secondes, l’un deux, Ovline, a essayé de m’agresser. 


Elle secoua la tête, les yeux remplis de larmes. 


-Je t’ai trouvée inconsciente au sol, il n’y avait personne ici. 


Je secouai la tête, affolée. Pourquoi feignait-elle l’ignorance ? Je savais ce que j’avais vécu, ce que j’avais vu. 


-Il m’a giflée très fort, je dois être marquée, dis-je frénétique.  


Elle sortit un miroir de son sac à main et me le tendit. Je n’avais aucune marque. 


-Non… non, c’est impossible. 


-Cassie, je suis inquiète pour toi... Depuis quelques temps, tu sembles à côté de la plaque. Qu’est-ce qui se passe ? dis-moi, j’aimerais t’aider...


Ma tête m’élança douloureusement et mon coeur se mit à battre la chamade. J’étais terrifiée. Est-ce que je venais réellement de rêver toute cette scène ? Est-ce qu’il y avait seulement une chose de réelle depuis les derniers jours ? Je gémis en me prenant la tête. Des larmes de désespoir coulèrent le long de mes joues. Est-ce que j’avais pris mes médicaments ce matin ? Je ne savais plus. Je ne pouvais plus discerner la réalité de la fiction. 


-Cassie…


-Non, ne t’approche pas de moi, criai-je. 


Je pris mon sac et m’élançai vers le dortoir pour mettre le plus de distance entre elle et moi, entre le monde et moi. J’avais l’impression que celui-ci se fractionnait en milliers de morceaux et qu’aucun n’était le monde réel. J’ouvris la porte de ma chambre et la claquai sans m’en rendre compte. Déchaînée, j’ouvris le tiroir de ma table de chevet et je découvris le flacon de pilule presque vide. Je les avais donc prises, mais pourquoi alors, je n’avais aucune marque sur le visage ? Étais-je réellement tombée sans connaissance ? Cela pouvait être possible suite au choc de ce qui était arrivé ce matin. Mais alors, avais-je réellement rêvé de deux êtres presque irréels ? Tout ça m’avait semblé si vrai. Une seule personne pourrait me dire que tout allait bien et c’était Alexis. Lui seul saurait me rassurer. Peu importe ce qu’il avait lu ce matin, ça n’avait plus d’importance, je savais qu’il serait là pour moi. Je ressortis de ma chambre pour me diriger vers la sienne. Une fois devant sa porte, je remarquai qu’elle était entrouverte. Une voix familière me provenait de l’intérieur. Sans faire de bruit, je jetai un oeil par l’embrassure et aperçus Mégane embrassant Alexis. Je reculai vivement et me heurtai à un étudiant. 


-Hey, attention ! regarde où tu vas !


-Cassandre ? 


La voix d’Alexis était emplie d’inquiétude. 


Mon coeur devint lourd dans ma poitrine et une boule se forma dans ma gorge. 


-Toi aussi, tu te moques de moi ? vous êtes de mèche, tous les deux, c’est ça ?


J’avais crié et quelques personnes se retournèrent vers nous. Alexis semblait réellement surpris et soucieux. 


-Cassie, je ne comprends pas de quoi tu parles ? Viens à l’intérieur, s’il te plaît, qu’on discute calmement. 


Je jetai un oeil derrière l’épaule d’Alexis et vis Mégane sourire. Je reculai de plus belle, effrayée et désorientée.  


-Cassie…


-Non, m’emportai-je, toi aussi, tu es de son côté. Tout ça, c’est pour m’humilier, pourquoi ? parce que je suis amoureuse de toi ? 


Il écarquilla les yeux et je mis ma main devant ma bouche. Bien sûr, il avait lu les feuilles de mon journal, mais de l’admettre ainsi, rendait la chose encore plus indubitable. 


-Cassandre, viens, je t’en supplie, nous devons parler. J’ai quelque chose à te dire, c’est important. 


Sa voix rauque dégageait une sollicitude qui me blessa tellement elle semblait sincère, mais j'apercevais toujours derrière lui, Mégane qui affichait un air entendu et je compris que j’étais en train de me faire manipuler. Je secouai la tête, les poings serrés.


-Laisse-moi tranquille, va retrouver ta petite amie, je ne veux plus vous voir ni toi, ni elle. Disparaissez de ma vie ! m’écriai-je, la voix remplie de larmes, mais les yeux secs. 


Je m’enfuis à nouveau, le coeur lourd au fond de la poitrine. 


-Cassandre ! appela Alexis, mais je ne me retournai pas. 


Je m’enfermai dans ma chambre et m’effondrai à terre, dos contre la porte, le corps secoué de spasmes. 


-Tu sais que tu peux mettre un terme une fois pour toute à ta souffrance. 


J’ouvris les yeux, affolée, mais il n’y avait personne dans la chambre. 


-Pourquoi te bats-tu ? ça n’a aucun sens, ta vie n’a aucun sens, ils t’ont tous trahie, pourquoi t’acharner ?


-Laisse-moi tranquille murmurai-je, en empoignant mes cheveux entre mes mains, la tête sur les genoux. Tu n’es pas réelle…


-Peu importe que je sois réelle ou non, je suis la seule qui te comprends, qui t’aime. Je veux que tu cesses de souffrir, prends ma main, viens avec moi. 


Une immense lassitude s’empara de moi, de mes membres et de mon âme. Un calme effrayant déferla dans mes veines et j’ouvris les yeux d’un coup. Décidée, je me levai et lentement, je me dirigeai vers ma coiffeuse. Je farfouillai dans ma trousse de toilette et attrapai mon rasoir jaune. Je passai devant le miroir et aperçus mon regard dans la glace. Un froid acéré me glaça le sang. Ce n’était pas mes yeux que je voyais dans le reflet du miroir. Je me retournai brusquement, mais il n’y avait personne. La chambre était désespérément vide. 


-Ils t’ont tous trahie, personne ne te comprend, ils se moquent tous de toi, il est temps de mettre un terme à toute cette souffrance. Ils ne méritent pas ton pardon, donne-le moi, je vais t’aider…


Je vis sur le coin de ma table de nuit, l’écran de mon téléphone s’allumer et le bip familier d’un message qui rentrait. Puis, simultanément, mon Ipod s’alluma et la chanson Chop Suey de System of a Down se déversa dans la chambre par le haut parleur bluetooth. 


I don't think you trust

In, my, self righteous suicide

I, cry, when angels deserve to die


-Ça ne fera pas mal, murmura la voix à mon oreille. Tu verras. Tu seras enfin libre. 


Je m’allongeai sur le lit, et défis le rasoir pour n'avoir que la lame. Je la fis tournoyer entre mes doigts. La musique répétait sans cesse les mêmes paroles hypnotisantes et enivrantes. Étrangement, cette fois-ci, je me sentais bien, presque sereine. Ce n’était pas comme la dernière fois où je m’étais sentie manipulée et impuissante. Je voulais ce qui allait arriver, bien que ce soit irrémédiable. Les derniers jours avaient été si éprouvants, je me sentais si fatiguée que j’avais envie de dormir longtemps. Plus personne ne me retenait ici. J’avais été trahie par mes deux meilleurs amis. Un nouveau bip se fit entendre dans le capharnarhum de la musique. Puis un autre, plus insistant, on aurait dit. Ce son me déconcentra, ramena une certaine perspective dans le brouillard de ma tête. Je fis un geste vers mon téléphone pour voir qui m’envoyait autant de textos. 


-Tu vas croire les excuses pitoyables qu’ils vont tenter de te faire par message texte ? susurra la voix dans ma tête. Ils n’ont même pas le culot de venir en personne… C’est tout ce que tu es pour eux, tu ne vaux même pas le déplacement. Ignore-les, ils ne méritent pas que tu t’occupes d’eux…


Mon bras retomba lourdement sur mon lit et mon esprit s’égara à nouveau vers les paroles de la chanson. Je serrai la lame entre mes doigts et doucement, j’appuyai sur mon poignet. Une goutte de sang se forma sous la blessure. Un rire euphorique, vainqueur se répercuta sur les murs de ma chambre. Je ressentis une joie intense déferler dans mes veines. Au même moment, on tambourina à ma porte.


-Cassie, ouvre-moi ! 


-Ignore-le, c’est trop tard. Il t’a déjà dupée, rien de ce qu’il ne pourra dire ne saura réparer sa faute... Finis-en avec tout ça. Tu es fatiguée, je le sens tout au fond de toi. Je vais prendre soin de toi, moi, je ne te trahirai jamais..


Mon attention se détourna de la porte. La musique était juste trop assourdissante pour que j’entende quoi que ce soit d’autre, puis, la voix avait raison, je n’avais plus envie de me battre, j’étais lasse. Le rêve que je faisais pratiquement chaque nuit n’en était pas un. J’avais bien essayé d’attenter à ma vie il y avait trois ans de cela et dans les mêmes circonstances qu’aujourd’hui. On m’avait diagnostiqué une schizophrénie et des médicaments pour contrer les voix, enfin, la voix devrais-je plutôt dire, car elle était seule, mais si persuasive. Tout allait bien jusqu’à dernièrement, jusqu’à ce qu’elle revienne. Aucun médicament ne pourrait jamais me sauver, me guérir et à présent, je n’avais plus aucune raison de continuer dans cette vie. J’avais tout perdu, elle avait raison, elle seule me comprenait. J’appuyai plus fort sur mon bras avec la lame tranchante. 


-Ta vie pour ma vie, murmura la voix. 


-Cassandre !


Alexis m’arracha la lame des mains et la lança à l’autre bout de la pièce. Un feulement sortit de ma bouche et je me débattis pour échapper à son étreinte. 


-Je suis désolé Cassie, je n’ai pas été attentif à tes soucis. Je suis désolé, répéta-t-il doucement,  il faut que tu me crois.

 

-Pourquoi, pourquoi l’embrassais-tu ? demandai-je le visage dans son chandail. Alors que tu savais…


-Je ne l’embrassais pas, Cassie, murmura-t-il attristé. Jamais je n’aurais pu te faire ça…


-Mais je vous ai vus, m’emportai-je, de plus en plus confuse. 


-Non, tu as cru nous voir, mais ce n’était pas la réalité. Tu as des problèmes avec ta médication, tu as des hallucinations, mais je vais t’aider. Tu dois me faire confiance. 


Je m’accrochai désespérément à lui, comme s’il était ma bouée pour que je ne me noie pas au milieu de ma folie.  


-Je ne sais plus ce qui est la réalité et ce qui ne l’est pas. Une voix chuchote dans ma tête constamment et je vois des gens qui n’existent pas. Je me sens déraper, Alexis. Tout est fragmenté, brisé, en moi. 


-Je sais, Cassie, mais on va arranger ça. Je suis là pour toi, je…


Je relevai la tête, et croisai son regard limpide et bienveillant. Sa confiance m’apaisa. Je n’entendais plus la musique et le brouillard épais disparaissait de ma tête, éclaircissant mes idées. D’un geste affectueux, il caressa ma joue. Un frisson de plaisir m’électrisa et me fit frissonner. Mon pouls s’accéléra et exalta mes sens. Tout devint lumineux et je me sentis moi à nouveau. Il n’y avait plus aucune pression sur ma poitrine, je respirais librement. Je m’avançai vers lui et comme dans mes rêves les plus fous, il cueillit mes lèvres. Son baiser fut court, mais quand il s’éloigna, il sourirait. 

















Chapitre 11


Le lendemain matin, je m’éveillai, reposée et heureuse. Je n’avais pas aussi bien dormi depuis des mois. J’essayai de bouger le moins possible pour ne pas réveiller Alexis. Hier soir, nous nous étions endormis tous les deux, épuisés. Je l’observai quelques secondes pendant qu’il dormait encore, ne croyant pas à mon bonheur qu’il soit là, mais réellement là, dans mon lit, et non comme l’ami qu’il avait toujours été. Puis, réalisant que nous étions mardi et que surtout, nous étions à l’école, je sautai en bas du lit et me précipitai à la porte pour aller jeter un coup d’oeil dans le corridor. Pour l’instant, il était vide. 


-Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il de sa voix ensommeillée. 


-Tu es dans ma chambre ! m’exclamai-je pour toute réponse. 


Je lui lançai son t-shirt qu’il avait enlevé et le pressai de l’enfilai. 


-Pourquoi tu t’agites comme ça ? On a encore un peu de temps avant les cours.


-Tu-es-dans-ma-chambre, répétai-je en détachant chaque syllabe. 


Il bailla puis, je le vis écarquiller les yeux alors qu’il comprenait enfin, ce que j’essayais de lui dire. 


-Zut !


Il enfila son t-shirt et se précipita vers la porte où il regarda dans le couloir comme je venais de le faire à l’instant. 


-La voie est libre, je me sauve, on se voit plus tard !


Il sortit, puis, se ravisa, il revint vers moi et déposa un léger baiser sur mes lèvres. 


-Je suis là, d’accord ? 


Je hochai la tête, souriante. Il me pressa la main et repartit au petit trot vers sa chambre. C’était stupéfiant à quel point mon humeur avait changé en même pas vingt-quatre heures. Je me sentais à présent légère et confiante. J’avais espoir que tout allait s’arranger, que comme promis, il allait m’aider pour qu’enfin, je puisse m’épanouir telle l’adolescente que j’étais réellement. Je savais que la schizophrénie ne se guérissait pas, mais elle pouvait se contrôler et avec Alexis à mes côtés, j’avais l’impression de pouvoir accomplir des miracles. Ce jour-là, je ne vis même pas les regards ni n'entendis les chuchotements que les autres pouvaient avoir à mon égard. Je repris le test que j’avais manqué et je mangeai seule, dehors dans le parc de l’école car une fois de plus, la température était plutôt clémente. Plus vendredi approchait, plus une certaine frénésie s’emparait des élèves. Toute l’école était décorée pour l’occasion. Il y avait des citrouilles, des fantômes et des sorcières un peu partout. Les entrées des classes étaient ornées de fausses toiles d’araignées. Je ne vis pas souvent Alexis, mais il m’envoyait une tonne de messages textes qui faisaient fondre mon coeur. La semaine se déroula sans incidents majeurs et sans que je m’en rende vraiment compte, vendredi pointa le bout de son nez. Il était plus de quatorze heures et je me préparais à aller me chercher un café pour m’aider à me donner l’énergie nécessaire à me préparer pour la grosse soirée qui nous attendait. J’avais envoyé un message à Mégane, mais elle ne m’avait pas répondu. J’étais triste car cette journée, nous aurions dû la vivre ensemble. Elle ne serait pas là pour se moquer gentiment de mon costume d’ange. 


Je revenais à ma chambre quand je reçus un message sur mon téléphone. Il provenait d’Alexis. 


«Est-ce que j’aurai l’honneur de t’accompagner au bal ce soir ?»


«Avec plaisir ! »


«Je serai là vers 18h00»


Je lui envoyai des émojis en guise de réponse et me dépêchai de rentrer pour avoir le temps de me faire belle. Je pris une longue douche chaude où je me lavai les cheveux et exfoliai mon corps. J’avais conscience d’en faire beaucoup trop, mais je considérais cette soirée comme un premier rendez-vous et je voulais être parfaite. Une fois mes cheveux secs, je me consacrai à mon maquillage. Je voulais quelque chose d'extravagant, parce que c’était Halloween, mais aussi de joli. Je cherchai donc l’inspiration sur Pinterest et finis par trouver quelque chose qui me plaisait. Je m’appliquai donc à le reproduire le plus fidèlement possible. Quand je fus prête, il restait encore trente minute à attendre. Toute cette agitation m’avait fatiguée et le boost du café, était retombé. Je m’assis dans mon lit et décidai de lire un peu pour me reposer. Ce soir, je me promis d’essayer de me réconcilier avec Mégane. 


***


Je cognai à sa porte et attendit qu’elle me réponde. Je me sentais légèrement ridicule dans cette accoutrement, mais je devais jouer le jeu, c’était Halloween. Des élèves me lançaient de drôles de regards, mais pour la plupart, surtout les garçons, ils me reluquaient. Je ne pus m’empêcher de sourire, flattée de l’attention qu’on me portait. Finalement, elle ouvrit la porte et son regard se durcit. 


-Je ne t’attendais pas ! 


-Moi aussi, je suis heureuse de te voir. 


Je la poussai à l’intérieur et refermai la porte derrière moi. Elle n’était pas encore déguisée, mais elle avait fait son maquillage et ses cheveux brillaient de paillettes. 


-Tu m’as impressionnée cette semaine, je tenais à te dire que je suis vraiment fière de toi !

-Tu n’avais pas à te déplacer pour ça, ce n’était pas nécessaire. 


Elle se dirigea vers sa coiffeuse et appliqua du mascara sur ses longs cils pâles. 


-Tu peux être en colère si tu veux, ça ne change plus rien, tu as fait ce que je voulais et même encore plus. Tu voulais la protéger, mais tu l’as repoussée encore plus loin dans sa folie. C’était tellement brillant, je suis admirative. 


Je m’avançai près d’elle et déposai un sachet de poudre blanche près d’elle. 


-Pour te remercier. 


Elle me fixa à travers la glace du miroir. Ses magnifiques yeux étaient soulignés d’un trait cuivré. Le pli de sa bouche, se contracta et elle serra la main sur son pinceau et de l’autre, elle fit valser la drogue. 


-Peu importe, Mégane, il est trop tard maintenant. Tu ne peux plus rien arrêter, alors autant profiter de ce que je te donne. 


Elle se leva avec une lenteur étudié et je sentis une nouvelle détermination en elle. Quelque chose avait changé. Elle était plus forte, plus sûre d’elle-même. Son regard était limpide, froid. Elle était sobre. 


-Tu as pu te sauver, c’est impressionnant, vu que tu n’as pas pu sauver ta soeur, dis-je avec ironie. Félicitations !


Sa mâchoire se crispa sous l’insulte, mais elle ne flancha pas. 


-Dieu me pardonnera l’accident, dit-elle avec aplomb. 


J’éclatai de rire. 


-Tu es certaine de ça ? je ne miserais pas ma vie là-dessus si j’étais toi…

-Dieu est bon, Il sera miséricordieux. 


Je reniflai de mépris. 


-Oui, très miséricordieux effectivement. C’est pour ça qu’il a envoyé ses chiens à ma poursuite et qu’il veut me détruire. Je vois bien là sa compassion légendaire. 

-Tu n’as fait que Le défier depuis le début, à quoi t’attendais-tu ?


-À de la pitié, à de l’empathie, à de l’aide, dis-je sur un ton agressif. Je n’ai pas choisi ce qui m’est arrivé, quelqu’un a saboté ma décision, la tienne aussi d’ailleurs. Tu crois que ça, c’est juste ? 


Elle ne répondit pas, mais ça ne me calma pas, au contraire, ça attisa ma colère, mon amertume. 


-Tu es naïve, si tu crois que tu seras absoute pour tes péchés. Tu as commis un meurtre, même si tu t’amuses à te dire que c’était un accident. Tu peux jouer avec les mots, ça ne change pas les faits. 


-J’étais désespérée, chuchota-t-elle.

 

-Oui, parce qu’on a bousillé ton choix. Tu ne devais pas te souvenir de ton ancienne vie, ni avoir de pouvoir. C’est la mémoire du paradis qui a altéré ton avenir humain, tu n’as pas eu la même chance que les autres. Nous n’avons pas eu la même chance. 


Elle s’avança vers moi et posa sa main sur mon épaule. Son regard lumineux m’enveloppa et elle me caressa la joue. 


-Tu n’es pas obligée de continuer sur cette voie, demande Lui pardon, et tu pourras être sauvée ! 


Pendant un instant éphémère, sa voix et ses paroles remplirent mon coeur d’un espoir fou, d’un désir puissant qu’elle ait raison, puis, le poison de la rancune se répandit à nouveau dans mes veines. D’un geste brusque, je balayai sa main de mon épaule. 


-Demander pardon ? demandai-je, narquoise. C’est Lui, qui devrait me supplier à genoux. Tu vois ce que je dois subire ?


-Ce n’est pas Sa faute, répliqua-t-elle doucement,  c’est des rebelles qui ont tout détruit. 


-Il aurait dû empêcher ça, Il est le Dieu tout Puissant, non ? crachai-je avec hargne. 


-Tu dois te libérer de ta haine, Morgane, ça ne mènera nulle part.

 

-Pourquoi es-tu si croyante tout à coup ?


Son regard se voila légèrement et je compris. J’aurais dû me douter que je ne pouvais faire confiance à personne. J’exacerbai mes sens pour sonder les environs, mais ils n’étaient pas là, pas encore. 


-Bravo Mégane, tu t’es surpassée dans cette histoire, mais si tu crois que tu peux marchander avec les chiens, c’est que tu es plus idiote que je le croyais. Ils t’ont promis quoi ?


Elle affronta mon regard sans sourciller. Maintenant qu’elle n’avait plus peur, elle pouvait me tenir tête. 


-Mon âme, dit-elle lentement. 


-Et tu les as crus ? ricanai-je. 


-Ce n’est pas obligé de se terminer dans la violence, demande pardon, Morgane, et ils seront cléments. 


Je secouai la tête, dégoutée. 


-Tu m’as vendue à ces deux chasseurs. Est-ce que tu sais au moins qui ils sont réellement ? 


Je m’avançai menaçante vers elle. 


-Ils ne sont pas là pour passer des marchés, Mégane. Quand ils m’auront tuée, ils s’amuseront avec toi, surtout Ovline et ensuite, ils te tueront aussi parce que tu as des pouvoirs et que tu déranges le cycle normal de ce que Dieu a prévu. 


-Tu mens ! s’insurga-t-elle. Tu veux me faire douter car tu as peur !


-Crois ce que tu veux, ça m’est complètement égal à présent. De toute façon, je sais exactement pourquoi tu as fait ça, tu as tenté de la sauver elle, pas moi. 


Elle baissa enfin le regard, coupable. 


-Ce n’est pas son combat, dit-elle avec emphase, elle ne mérite pas de mourir. 


-Je ne mérite pas de mourir, Mégane. 


Je la bousculai rudement. 


-Tu te crois forte parce que tu as marchandé ton âme contre la mienne ? tu crois que maintenant, tout s’arrangera et qu’on sera heureuses à tout jamais ? dans quel monde vis-tu, Mégane ? même sans ta poudre blanche, tu rêves encore en couleur. 


Je la plaquai au mur et frappai juste à côté de son visage. Elle tourna la tête pour se protéger. 


-J’en ai assez qu’on me dise comment penser et ce que je dois faire. Quand j’ai signé le contrat, je croyais que j’allais avoir une chance de trouver l’amour sur terre. On m’avait dit que j’aurais une belle vie, une vie heureuse et regarde ce à quoi on m’a condamnée. En faisant exploser les tunnels ce jour-là, ils m’ont brisée à jamais. Quelqu’un doit payer. Elle d’abord, les autres ensuite. 


-Mais elle n’a rien fait, s’écria-t-elle. Elle est tout autant victime que toi. 


Je la giflai si fort, que sa tête rebondit sur le mur. 


-Elle a eu seize ans de lumière, répliquai-je amère. C’est assez. 


Je me dirigeai vers la sortie quand elle m’attrapa par le poignet. 


-Cassandre ! s’écria-t-elle, désespérée. 


Je me retournai et lui sourit avec méchanceté. 


-Tu crois qu’elle t’entend ? depuis des semaines que je bousille son cerveau, ses perceptions, que je lui fais oublier de prendre ces pilules qui m’abrutissaient, elle n’est plus assez forte pour reprendre le contrôle de son corps. C’est terminé, Mégane. 


-Laisse-la tranquille, Morgane, s’il te plaît, elle n’a pas demandé tout ça. 


-Moi non plus Mégane, et ça ne semble pas te chagriner. Ce jour-là, le jour de l'attentat, j’avais tellement de rêves dans le coeur. Je m’abandonnais avec espoir et légèreté à l’avenir. Quand l’explosion est survenue, j’ai été projetée dans le tunnel voisin, celui de Cassandre et l’impensable, s'est produit. Mon âme a fusionné avec son corps et je suis prisonnière depuis. Toutes ces années à ne pas comprendre, à vivre dans la noirceur, dans la solitude. Mon monde était jonché de plantes et de fleurs mortes. Je ne voyais pas les couleurs, seulement le noir et blanc. C’est juste, ça, à ton avis ? il n’y a pas de place pour nous deux, elle doit mourir. 


Je me défis de son étreinte et je l’entendis pleurer tout bas. 


-Son âme sera sauvée, dis-je doucement. 


-Mais pas la tienne, répliqua-t-elle. 


-Elle a toujours été l’auréole et moi le péché. C’est ainsi que ça doit se passer. 


Je sortis de sa chambre et tombai face à face avec Ovline et Saël. J’inspirai profondément et rejetai les épaules en arrière. 


La fin était proche. 







 


Chapitre 12


Morgane avait raison, je n’avais plus assez de force pour me battre contre elle pourtant, je me sentais apaisée, je comprenais enfin ce que je vivais depuis des années. Toutes ces fois où j’avais cru que la folie m’envahissait parce que j’entendais des voix, parce que je voyais des choses qui n’existaient pas, en fait, c’était elle. Elle avait manipulé mon cerveau pour jouer avec moi à sa guise. Je n’étais pas schizophrène, j’étais un ange. Je n’avais aucun souvenir de cette ancienne vie, ni pourquoi j’avais décidé de m’incarner, mais je ressentais une immense tristesse. Pour moi, mais pour Morgane aussi, qui avait vu toute sa vie anéhantie par un complot. Toute sa bonté et son humanité s’étaient dissipés suite à cet accident et elle n'arrêterait pas avant d’avoir obtenu sa justice. Sa haine était si puissante, qu’elle pourrissait mon coeur et annihilait toute ma volonté. Cependant, je percevais tout au fond d’elle de la peur. C’était minuscule, comme une graine qui germe lentement, mais c’était bien là. Saël et Ovline l’inquiétaient. Même si je ne m’opposait pas à elle, mon énergie l’épuisait. La preuve, sa chevelure n’était plus totalement noire quand elle prenait le contrôle. Elle devait maintenir le contrôle sur un corps qui n’était pas le sien et devait invoquer la magie pour se défendre. Son ressentiment alimentait sa vigueur, mais elle savait, sans l’admettre, qu’elle ne pourrait pas rester maîtresse très longtemps. Ça avait toujours été ainsi, elle n’avait jamais vécu sa vie en seize ans. C’était moi, c’était toujours moi, la gagnante. 


***


Il la regarda sortir de la chambre, sa chevelure bicolore flottant dans son dos. Elle portait ce costume ridicule d’ange aux ailes blanches. C’était troublant et en même temps follement excitant. Il sentait sa puissance et il savait qu’elle ne céderait jamais. En la regardant bien, il se rendait compte qu’elle n’avait pas du tout l’air d’une adolescente de seize ans. Elle semblait sans âge, comme si elle avait vécu mille vies, prisonnière à l’intérieur du corps d’une autre. Enfin, il comprenait pourquoi Cassandre n’avait pas d’odeur. Elle n’existait pas réellement, même si elle avait le contrôle le plus souvent. Plus que jamais, il était déterminé à détruire Morgane. Elle était une aberration de la nature et il ne pouvait supporter cela. 


-Comment dois-je t’appeler ? demanda-t-il pour la narguer. 


Elle ébaucha un sourire narquois et fit apparaître une boule magique de sa main. 


-Cassandre n’existera plus, il n’y a que moi, à présent, alors inutile de demander. 


***


Je lançai ma magie dans sa direction, mais il l’évita facilement. Saël s’était placé un peu à l’écart et je le voyais murmurer des paroles pour ériger un bouclier invisible qui protégerait les humains. Pour l’instant, il ne m’intéressait pas. Le plus dangereux des deux, c’était Ovline. Je voyais l’effervescence scintiller dans ses prunelles presque translucides. 


-C’est tout ce que tu peux faire, Morgane ? brava-t-il. 


Je l’ignorai et récitai une nouvelle invocation. Il me prit de vitesse et lança la sienne sournoisement. Elle frôla mon flanc droit, déchirant ce satané costume. Furieuse, je m’élançai vers lui et déployai ma magie. Elle se canalisa en un rayon noir qui le percuta de plein fouet. 


-Ovline ! s’écria Saël, inquiet. 


Il se releva aussitôt et exécuta quelques pas de danse pour éviter mes coups. Son épaule saignait et son chandail avait brûlé à certain endroit. Ses pupilles se dilatèrent et devinrent aussi foncées que le fond d’un puit. Il fit apparaître à nouveau une boule magique qu’il fit éclater à mes pieds. Une dense poussière jaune m’enveloppa et je suffoquai. Je me mis à tousser, la gorge et les yeux irrités. Je ne voyais plus rien et il en profita pour me plaquer au sol. 


-Tu sais, je crois que j’ai oublié de te dire que j’étais désolé. Je ne voudrais pas que tu meurs sans mes excuses.


-Qu’est-ce que tu racontes, crachai-je. 


-Oh, c’est vrai, tu l’ignores toujours !  


Il eut un sourire taquin qui accrut ma fureur. 


-Le jour de l’attentat, ce jour fatidique où tu t’es retrouvée coincée dans le corps d’une autre, eh bien, c’était de ma faute. 


Je me débattis furieusement en hurlant. Bien sûr, que c’était lui. Voilà pourquoi il était déchu. Mais pourquoi alors, travaillait-il toujours pour Dieu ?


-Je lis dans tes yeux ton questionnement, tu me déçois, Morgane, c’est pourtant si évident.


-Ne t’adresse pas à moi comme si on était ami. Lâche-moi, et on verra, si tu fais toujours le fier !


Il ricana et accentua la pression sur ma poitrine. Il prit mon menton entre ses mains et me cracha au visage. 


-Tu es mignonne, mais les anges dans ton genre ne devraient pas exister. Vous êtes des dangers pour le paradis avec vos idées révolutionnaires. Vouloir s’incarner en humain, quelle hérésie. 


-C’est toi, qui as causé tout ce carnage, comment peux-tu être aussi aveugle ?


Il me secoua brutalement, le regard fou. 


-Rien de tout ça ne serait arrivé si tu n’avais pas décidé de t’incarner. Je n’aurais pas été obligé de t’arrêter. Ne comprends-tu pas ? toi et tous les autres, vous m’avez forcé vers cette voie. 


-Comment Dieu peut-Il accepter de toi ce que tu fais ? demandai-je sans pouvoir cacher l’amertume dans ma voix. 


-Parce que tu es incontrôlable, ne le comprends-tu pas ? le monde des humains doit cohabiter avec le nôtre, sans que jamais ils n’aient conscience de notre existence. Ta vie est une menace constante contre cette paix. Tu es une anomalie, tu ne peux pas continuer à te balader librement. Tu as déjà suffisamment mis en danger l’équilibre précaire en te présentant à Alexis sous ta forme réelle. Tu as de la chance qu’il ait toujours cru à la schizophrénie de Cassandre. 


Je serrai les dents et avec discrétion, je priai une énorme quantité de ma magie. J’allais tuer ce prétentieux, ce terroriste qui se croyait mieux que les autres. 


-Ce que tu dis, c’est que Dieu a peur de moi ?


Il eut un rictus méprisant.  


-Il n’aime pas se salir les mains. Il a tant de choses à faire, tu ne l’intéresses déjà plus. Cependant, moi, je te convoite, car ta vie me vaudra mes ailes à nouveau. 


C’était donc ça. On avait une fois de plus, marchandé mon existence qui ne m’appartenait même pas, contre une rédemption. 


Il lança un nouveau sort, mais je l’évitai de justesse en lui balançant un coup de pied dans les côtes et en roulant sur le côté. Un énorme trou se creusa dans le couloir. Je me relevai d’un bond et répliquai sans attendre. Mon sortilège s’enroula autour de son cou. Il grogna de douleur. 


-C’est terminé, dis-je, réjouie. 


Je m’avançai vers lui, déployant beaucoup d’énergie pour maintenir mon emprise sur lui. Je voyais qu’il étouffait. Il devenait de plus en plus livide. Il se débatttait mais sans succès et ses yeux devinrent exorbitants. Il se mit à tressauter et mon coeur jubila. Je fis un geste de la main pour mettre un terme une fois pour toute à sa méprisable existence quand j’entendis un cri. Ce qui se produisit par la suite, me sembla arriver au ralenti. Mégane me poussa avec force et je tombai lourdement au sol au moment même où juste au-dessus de ma tête, un rayon lumineux passait à une vitesse impressionnante. Un hurlement de douleur se répercuta contre les murs, celui de Mégane. Je tentai de me relever, mais on me frappa au visage, puis, aux côtes. Saël, bien sûr, je l’avais oublié. C’était surprenant, puisqu’il n’intervenait jamais d’habitude. Par contre, s’il était sur moi, cela signifiait que plus personne ne maintenait un mirage pour les humaines. Je tentai de me protéger contre sa fureur, mais j’étais étourdie. Au loin, par contre, je réussis à distinguer quelque chose qui me donna une idée. 


-Ovline, lance-moi la seringue, cria Saël. 


Je n’avais plus que quelques secondes. Si je ne le faisais pas, j’allais mourir. Je pris une grande inspiration, refoulant au plus profond de moi le réflexe de défense qui pour l’instant, m’étais complètement inutile et j’abdiquai tout. 


***


-NON !


Saël suspendit son geste, stupéfait d’être dérangé par un humain. Il n’avait pas réalisé qu’il n’avait pas maintenue sa bulle protectrice. 


Alexis me prit dans ses bras protecteur et caressa mes cheveux. 


-Qui êtes-vous ? pourquoi vous en prenez-vous à Cassie ?


Mes membres étaient lourds et mes paupières avaient du mal à rester ouvertes. Je me blottis davantage dans les bras d’Alexis et il resserra son étreinte autour de mon corps. 


-Je vous défends de l’approcher, qui êtes-vous ? répéta-t-il. 


Je humai son odeur boisée mélangée à celle de la peur et de l’inquiétude. Il bandait les muscles pour tenter d’impressionner ses adversaires. Une forte émotion déferla dans mes veines et une envie irrépressible s’empara de moi. 


-Je t’aime. 


Je me dégageai doucement de ses bras et il me regarda comme s’il me voyait pour la première fois. J’avais tellement envie de l’embrasser, que c’en était douloureux. Je fis un mouvement vers lui, mais Saël en profita pour le bousculer et l’éloigner loin de moi. 


-Fais-le, Saël, ne te laisse pas berner par son petit jeu, on doit en finir. 


-Ce n’est pas elle, murmura-t-il, confus, ce n’est pas Morgane.  


-Évidemment que c’est elle, ne te fie pas à sa chevelure, elle te nargue et tu vas tomber dans son piège, s’énerva son ami.  


Alexis se précipita vers moi, mais Ovline l’attrapa par la taille pour le retenir. 


-Non, non, lâchez-moi ! que lui voulez-vous, pourquoi vous faites ça ? 


Sa voix était emplie d’effroi. Mon coeur se serra. 


-Je suis désolée Alexis, je ne savais pas, dis-je doucement. 


-Cassie, que se passe-t-il ? dis-moi, je t’en supplie. 


-Je…


Saël me frappa et je me mordis la lèvre inférieure sous la puissance du coup. Du sang coula sur mon menton. 


-Cassie ! hurla Alexis, se débattant comme un diable, mais sans succès. 


Il n’avait aucune chance contre une force surnaturelle.  


-Saël ! gronda Ovline. 


Celui-ci hésita une fraction de seconde avant de se décider. Il déploya sa magie, qui m’enveloppa en crépitant. Mon corps se tordit et la douleur déferla en vague. J’entendis Alexis rugir et le désespoir m’envahit. J’aurais tant voulu qu’il ne soit pas témoin de cela. Je sentais ma vie me quitter et je vis Saël abattre sa seringue mortelle vers moi. Je fermai les yeux, attendant la fin, quand tout s’arrêta soudainement. Quelqu’un s’était placé sur mon corps pour me protéger. Sa chaleur irradia en moi, guérissant mes blessures, puis, un tremblement me secoua et une lumière sortie de ma bouche. J’ouvris les yeux et reconnus la chevelure flamboyante de Mégane. Je l’étreignis, les yeux gonflés de larmes contenues. 


-Non ! rugit Ovline dans sa direction. Pourquoi l’as-tu protégée ? tu nous avais promis son âme. 


-Elle ne méritait pas de mourir chuchota-t-elle.


-Ton sacrifice a annulé le sort mortelle de la seringue, ton âme sera sauvée, murmura Saël, sous le choc par tout ce qui venait d’arriver. 


Je ne sais pas si elle l’entendit, elle respirait à peine. Le poison se déversait dans ses veines et elle avait du mal à rester consciente. 


-Allons-nous-en, Saël, nous n’avons plus rien à faire ici. 

 

La voix d’Ovline était lasse, défaite. Il avait perdu. Il n’avait plus rien pour nous anéantir et tous les deux avaient déployés tant d’énergie qu’ils étaient épuisés. De plus, un humain avait été témoin de ce qu’ils avaient tant essayé de cacher. S’il restait, Dieu pourrait bien les punir pour leur échec lamentable. Saël le rejoignit et tous deux, dans un tourbillon de vent, disparurent. Alexis se précipita vers moi et m’enlaça avec violence. Des larmes chaudes coulèrent dans mon cou. 


-Cassie, j’ai eu si peur de te perdre, murmura-t-il dans mes cheveux. 


Je pris sa tête entre mes mains et déposai un léger baiser sur ses lèvres pleine. Mon coeur se dilata et mes sens s’exacerbèrent de plaisir. Il dut se faire violence pour s’éloigner de moi. 


-Est-ce que Mégane est…

 

L’émotion l’empêcha de terminer sa phrase. Je percevais l’incompréhension dans ses prunelles albates. Il n’arrivait pas à assimiler tout ce qui venait d’arriver. Je lui pressai la main doucement et je m'accroupis près de Mégane. Je secouai négativement la tête à l’intention d’Alexis. Cependant, alors que j’allais me relever, Mégane m’agrippa de ses doigts glaciaux. Son corps devenait de plus en plus diaphane tandis qu’elle mourrait. Je me penchai lentement vers elle et d’une voix rauque, à peine audible, elle murmura : 


-Morgane.


FIN.